Livre
Vivre sans voir : le mantra de Bernard Schneider
Ancien juge au tribunal de district du Val-de-Travers, Bernard Schneider publie un livre sur son handicap : la cécité. Édité à compte d’auteur, l’ouvrage de l’habitant de Môtiers ne se veut ni autobiographie, ni mode d’emploi, mais récit de l’expérience de vie sans ce sens et vise à dépasser les préjugés et les non-dits liés à cette perte. Rencontre avec un homme qui, malgré cette épreuve de vie, a su conserver un humour salvateur et se recréer une vie.
La cécité est la hantise des voyants.
Le constat que pose Bernard Schneider dès le début de l’entretien est brutal et impressionne d’emblée. En effet, la possibilité fait peur et on peine à l’imaginer.
85% de nos perceptions sont visuelles,
relève l’habitant de Môtiers et ancien juge de district. Ce manque sensoriel, Bernard Schneider en a ressenti la perte à partir de 1996, lorsque le corps médical lui décèle une rétinite, puis la maladie a rapidement progressé, la vue laissant place à la cécité à partir 2003. L’ancien juge reconnaît avoir même, à un moment, eu recours à des guérisseurs, mais il a dû se résoudre à arrêter de « se bercer d’illusions » et accepter le fait qu’il ne reverrait jamais. Avant sa maladie, le juge et l’homme qu’il était estimait que deux choses lui apparaissaient comme « intolérables », la tétraplégie et la cécité.
Cela m’était inimaginable de finir aveugle à 52 ans,
avoue-t-il. Et pourtant, à 79 ans désormais, le Môtisan estime qu’il s’en est « bien tiré », à l’instar de ce qu’il écrit dans son livre « La vie après la vue ».
Ce n’est pas une autobiographie,
explique immédiatement l’ancien juriste. Au contraire et même si les premières lignes du livre abordent de son cas personnel, Bernard Schneider a souhaité écrire un ouvrage sur la cécité en général et non la sienne en particulier pour casser les préjugés liés à ce handicap et montrer aux voyants la vérité sur la non-voyance.
L’objectif est de montrer que la vie d’un aveugle n’est pas aussi lugubre et terrible que ce que l’on peut imaginer,
souligne-t-il, en réitérant son souhait d’aider à la compréhension de la cécité et de démontrer que l’aveugle est un humain comme les autres, chose difficile parfois.
Ce n’est pas un livre lugubre, il est même assez vivant,
relève-t-il, une nouvelle fois. Dans celui-ci, Bernard Schneider aborde différents non-dits au sujet du handicap visuel au travers de différents chapitres, l’acceptation de la cécité certes, mais aussi les moyens de la dépasser, la canne blanche, le braille ou le chien d’aveugle, et les autres face à la personne aveugle, avec un chapitre des « impairs », ces propos qui peuvent blesser.
Humour pour dédramatiser
Dans ce chapitre, Bernard Schneider prend en exemple quelques situations où il s’est senti dévalorisé et déshumanisé par des remarques ou des comportements.
Parfois, j’ai le sentiment d’être un colis,
image-t-il, en se souvenant d’un passage à l’hôpital où l’infirmière ne s’adressait, pour remplir un formulaire, qu’à la personne qui l’accompagnait. Même s’il reconnaît qu’il « vide un peu son sac », l’ancien juge ajoute que ces moments ne sont pas si fréquents.
Je pense aider à comprendre et à vivre avec les aveugles
estime-t-il, avant d’ajouter qu’il « faut parler aux aveugles comme aux autres personnes ». Toutefois, face, parfois, aux maladresses de certains interlocuteurs, Bernard Schneider relève qu’il est
important de dédramatiser grâce à l’humour. Cela est ma manière de fonctionner depuis toujours,
sourit-il, lui qui a toujours apprécié faire son métier de juriste avec sérieux mais non dénué de bons mots. Preuve en est lorsqu’il légitime l’écriture de son livre:
La cécité, je la regarde avec un œil qui est plongé dedans.
« La vie après la vue » est le fruit d’une année de travail régulier et qui s’est effectué plutôt le soir et parfois jusqu’à tard dans la nuit.
Je suis un nocturne depuis toujours, quand on est plus tranquille,
explique Bernard Schneider, en ajoutant avec une nouvelle pointe d’humour que « sa vision est plus claire » en soirée. Le citoyen de Môtiers lève aussi le voile sur certaines interrogations propres aux voyants.
Tous les aveugles ne sont pas dans le noir,
déclare-t-il, en détaillant les teintes et les formes qui paraissent parfois imprimer sa rétine.
Mais ces perceptions sont totalement irréelles,
reconnaît Bernard Schneider avant d’avouer que la prise d’un demi-somnifère peut produire des effets psychédéliques, le cerveau cherchant à remplacer l’absence de sens visuel. Des scènes de bad trip qu’il décrit dans son ouvrage. Un ouvrage qui pose trois conclusions, que Bernard Schneider ne s’ennuie pas, qu’il y a une vie après la vue et qu’on ne peut pas savoir comment on réagirait face à un tel malheur. Lui-même ne s’explique pas sa manière de faire face à la cécité.
C’est mon destin et je fais avec,
remarque l’ancien juge avec philosophie.
Et pourtant, la première qualité d’un juge, c’est d’être aveugle, la justice à les yeux bandés,
conclut Bernard Schneider toujours avec humour et finesse d’esprit. Le sentiment d’avoir « la responsabilité de rendre le monde meilleur après son passage » l’a toujours habité et peut-être qu’un tel livre peut à son échelle y contribuer.
Le vernissage de « La vie après la vue » se tiendra le 1er septembre prochain à 18 h à la Maison des Mascarons à Môtiers.
Gabriel Risold