De coupe-gorge à reines de beauté
Autrefois source de croyances pas toujours avantageuses (et fondées), les gorges de la Poëta-Raisse ont peu à peu révélé toutes leur beauté à la population. Capricieuses, elles ne se laissent pas facilement apprivoiser. Il a fallu et il faut encore l’entier dévouement d’un groupe de bienfaiteurs pour qu’elles acceptent de se faire sublimer. Fondée en 1874, la Société des gorges de la Poëta-Raisse s’active encore aujourd’hui pour que leur beauté reste reine. Et il y a du boulot…
Chaque année, la Société des gorges de la Poëta-Raisse réalise quelques travaux d’entretien, de remise en état et de sécurité. Ponctuellement, de plus gros travaux sont nécessaires comme ceux entrepris entre juin et début juillet de cette année qui ont coûté 26’000 francs. Il y a à peu près six ans, un hélicoptère avait été mobilisé afin d’évacuer plusieurs arbres dangereux ou encombrants par exemple.
Montant de la facture : quelque 50’000 francs. Contrairement à bon nombre d’autres gorges, celles de la Poëta-Raisse ne sont pas à charge de communes mais de cette société. Elle bénéficie bien de quelques aides financières lors de certains aménagements mais le plus souvent, elle doit faire face aux dépenses par elle-même. C’est grâce à la cotisation de dix francs minimum par année demandée à ses membres qu’elle parvient à le faire. Jusqu’à quand ce modèle pourra-t-il tenir ?
Infrastructure : durée de vie de 15 à 25 ans
La question est un peu directe mais elle doit être posée. Actuellement, une base solide de 1800 membres est encore en place mais de moins en moins de jeunes s’engagent. Pourtant, de plus en plus de passages se font dans ces gorges et la nécessité de renouveler les infrastructures s’intensifie par la même occasion.
Il faut bien se rendre compte qu’il y a 6 kilomètres à couvrir, à cheval sur les cantons de Neuchâtel et Vaud. Parmi les travaux réguliers, il y a les arbres en travers de sentiers à retirer. Souvent, il y en a un peu plus sur la partie haute, c’est-à-dire la partie vaudoise,
indique Claude-André Montandon. Le garde forestier de Val-de-Travers et président de la société taquine ainsi volontiers son homologue vaudois André Clémençon.
Il faut préciser que les Vaudois participent activement au financement de ces travaux,
rétorque-t-il amusé.
Les gorges traversent différents terrains publics et privés, ce qui complexifie un peu plus les choses. Pour faire simple, Neuchâtel Rando et Vaud Rando s’occupent du balisage et la société se charge de maintenir le parcours en état et de le sécuriser.
Notre fonctionnement sur le terrain est rodé. Un premier repérage est fait en amont et on identifie différentes zones prioritaires où intervenir. Il y a notamment le périmètre des cascades où on a abattu des arbres l’année passée. Il faudra à nouveau faire appel à un hélicoptère pour les évacuer et cela devrait se faire avant la fin de l’année. Plus haut, une passerelle présente des signes de fragilité et elle sera changée en mai 2022.
La durée de vie des différents éléments installés est de quinze à vingt-cinq ans.
Nouveauté : fermeture annuelle de six mois
Une attention particulière est aussi accordée aux pierres qui menacent de tomber. Une cabane en bois construite il y a une dizaine d’années nécessite également un petit entretien chaque printemps.
Toutes ces choses sont faites pour le confort mais surtout pour l’assistance optimale des randonneurs. On essaie de leur offrir une sortie la plus sûre possible. Ceci n’empêche pas la responsabilité individuelle comme le fait de ne pas s’y aventurer en plein hiver si on ne connaît pas les lieux.
D’ailleurs, nouveauté pour cette année : la société va officiellement fermer le site du 31 octobre au 30 avril. Cela signifie qu’aucune sécurité ne peut être garantie durant cette période et qu’il en va de la raison de chacun de s’y aventurer ou non. D’un point de vue général, son accessibilité a quand même largement été améliorée au fil du temps. à la suite d’un orage dévastateur en 1980, les gorges de la Poëta-Raisse avaient entièrement dû être réaménagées.
C’est à la suite de cet épisode qu’un nouveau comité s’est reconstitué pour aller chercher des fonds.
Il n’y avait pas d’argent dans les caisses,
se souvient Pierre Aubert, membre du comité depuis plus de vingt-cinq ans. « Le doyen » est engagé dans diverses sociétés de la région et le fait avec conviction.
Moi qui profite à fréquence régulière de cet incroyable endroit, je trouvais normal d’aider à sa préservation. Je ne jette pas la pierre à ceux qui ne le font pas, peut-être même qu’ils ne connaissaient pas cette société et la découvriront avec votre article !
Effectivement, elle se fait discrète cette société. Vous ne trouverez par exemple aucun site internet ni de compte sur les réseaux sociaux pour la promouvoir. Si une personne souhaite donner un coup de main dans ce secteur, il est le bienvenu comme les nouveaux membres qui peuvent s’inscrire à poeta-raisse@bluewin.ch. Une belle occasion de côtoyer les reines de beauté de plus près !
Infrastructure : durée de vie de 15 à 25 ans
Pour évoquer le manque de visibilité de leur société, notamment sur le numérique, Claude-André Montandon, André Clémençon et Pierre Aubert manient l’humour.
On a toujours eu un petit décalage dans le temps, ça fait seulement une quinzaine d’années que la société possède des statuts par exemple.
Par contre, aucun retard n’est à déplorer dans les différents travaux effectués ces dernières semaines.
On a changé certaines passerelles usées, on a renforcé le lit de certains cours d’eau et on a coupé des arbres fragilisés notamment. On a aussi réalisé un nouveau pont avec deux troncs bostrychés et du bois de chêne pour le platelage (passage sur lequel les gens traversent).
Bref, ils en prennent drôlement soin de leurs gorges et on est très loin de l’image véhiculée par cet endroit il y a 150 ans.
Avant 1870, pas grand monde n’osait mettre les pieds ici. à lire certains écrits de l’époque, c’était perçu comme lugubre, sombre, peuplé d’ours et hostile. Un coupe-gorge typique !
L’historien et politicien fleurisan Fritz Berthoud (1812-1890) parlait ainsi de « vilaine scie, vilain ruisseau et vilain coin » pour évoquer les gorges de la Poëta-Raisse devenues emblématiques aujourd’hui. Les pestiférées d’hier, métamorphosées en reines de beauté, fêteront leurs 150 ans en 2024. De quoi imaginer de belles choses pour marquer le coup.
On va y réfléchir plus sérieusement ces prochains mois mais pourquoi pas imaginer des visites guidées autour des joyaux botaniques et géologiques du lieu,
lancent-ils. Et si cela se faisait en ayant atteint la barre des deux mille membres ?
Kevin Vaucher