Prévention scolaire
Être sur ses gardes sur les réseaux
Apprendre à connaître les réalités, les risques ou les dangers des réseaux sociaux et d’internet, tel était l’objectif de la séance de prévention de la police neuchâteloise à destination des élèves de 9e année de l’École Jean-Jacques Rousseau, vendredi dernier à Fleurier. Le Courrier du Val-de-Travers hebdo a pu y assister.
«Pour les trucs d’internet». La réponse des élèves à l’interrogation de Daniel Favre, responsable prévention criminalité à la police neuchâteloise, sur leur présence en salle de réunion à Longereuse vendredi dernier, est un peu réductrice. Néanmoins, c’est bien de numérique, de digitalisation, de monde hyper-connecté et de ses risques et dangers, que cette séance de prévention allait aborder. Comme chaque année, Daniel Favre, trente-cinq ans de service et devenu officiellement « Monsieur prévention » de la police neuchâteloise depuis 2016, rencontre les élèves de 9e année du canton pour discuter du bon usage d’internet et des réseaux sociaux. Vendredi dernier, lui et son collègue Ilan Sueur étaient à Fleurier pour une journée. L’occasion pour nous de suivre une séance et d’observer le comportement digital de la jeunesse. «Ce qui marque c’est la naïveté impressionnante qui demeure», note Daniel Favre. «À douze ans, ils débutent à utiliser ces réseaux et sont à fond dedans».
Au programme, une séance d’une heure trente environ peu formelle et participative et divisée en les risques et dangers d’internet et de réseaux et le harcèlement scolaire. Pour favoriser le dialogue, Daniel Favre indique tout de suite aux adolescents que ce qui se dira ici ne sortira pas de la pièce. «Les trucs d’internet», c’est quoi selon eux? Les réponses fusent et les élèves citent les noms d’applications et de sites, Google, Wikipédia, Facebook, Snapchat. «Cette appli c’est bien ou pas?», intervient le responsable prévention. «Ça dépend… », disent nombre d’élèves. L’agent de police acquiesce, «Ce sont des mots sur des maux», déclare le responsable prévention avant d’expliquer que la séance du jour a pour objectif que les mots redeviennent ce qu’ils sont. Le bien ou le mal des réseaux «dépend» de comment les utiliser.
Plus de dégâts qu’un pistolet
La glace étant brisée, Daniel Favre procède à quelques sondages. Qui est sur Instagram? Une quinzaine d’élèves lèvent la main. Qui est sur Whatsapp? Presque l’entier de la salle se manifeste, soit entre 40 et 50 adolescents. «Alors que c’est seize ans minimum!», lance l’agent avec un sourire. Toutes les mains se baissent aussitôt. Un tour de salle permet à Daniel Favre de relever les aspects positifs de la numérisation, «une ouverture sur le monde incroyable», «une source de connaissance», «un monde rapproché». «Les réseaux ont une force immense et peuvent faire plus de dégâts que mon pistolet», image-t-il, en faisant référence aux printemps arabes et à d’autres mouvements sociaux nés sur ceux-ci. Pour autant, ils n’ont pas que du positif. «Aujourd’hui, tout ‹ post › sur les réseaux peut devenir public», explique Daniel Favre avant de demander l’ampleur de leur groupe privé aux élèves. Une adolescente annonce 612 amis sur TikTok. «Tu les connais tous ? Tu les invites tous à ton anniversaire?», demande le responsable prévention. Silence.
Avant tout, Daniel Favre tient à rappeler que sur la Toile tout est relié et que des individus « pas sympas » s’y trouvent. Dans la rue, avec les cinq sens, il est aisé de percevoir le danger, sur internet et les réseaux, cela est moins évident. «Attention à ne pas se faire prendre par les émotions», insiste le sergent-major, en évoquant des nuances de langage qui doivent attirer l’attention et la méfiance. Des sens et un cerveau qui doit aussi servir à relativiser les « posts » d’influenceuse ou d’influenceur. Par un subtil montage, Daniel Favre montre qu’une photographie idyllique de genoux graciles sur une plage peut être réalisée avec des wienerlis et un arrière-fond. D’abord, des rires, puis à nouveau un silence. «Vos likes leur font gagner de l’argent!», précise-t-il, en expliquant que ce sont eux la marchandise. Avec le Web 2, le responsable prévention indique que tout un chacun peut poster n’importe quoi désormais et qu’il faut se méfier du « fake ». «J’aimerais que vos influenceurs soient vos enseignants, vos parents et moi», avance Daniel Favre, toujours avec une pointe d’humour avant de rappeler l’essentiel. Utiliser un pseudo sur les forums, ne pas révéler d’adresse ni de numéro de téléphone et ne pas répondre à des questions indiscrètes.
Pénalement répréhensible
Autre sujet problématique: les nudes, soit des photos de nudité que s’envoient les adolescents entre eux. à nouveau, petit sondage. Les élèves connaissent le sujet et en ont même déjà vu ou reçu. «Vous n’êtes pas interpellés de recevoir des nudes de personnes inconnues», demande Daniel Favre, sans jugement. L’ambiance n’est plus vraiment à la rigolade, comme si une prise de conscience avait lieu. L’agent ne blâme personne, mais explique simplement que de se photographier à moins de 16 ans en tenue d’Adam tient déjà de l’infraction pénale. Il s’agit de fabrication de produit pédopornographique, ce qui est poursuivi d’office par le ministère public. Conserver une telle image est jugé comme recel et la transférer comme diffusion de ce type de produit.
Un extrait d’un reportage de l’émission Mise au point de la RTS sur le sujet est projeté et l’attention est à son paroxysme. On y apprend que les sociétés américaines de ces réseaux sociaux sont tenues de transmettre à la justice étasunienne ces contenus et qu’ensuite celle-ci se tourne vers celle helvétique. L’effet se fait sentir parmi les élèves, un problème judiciaire de cet ordre pourrait nuire à leur avenir. à la fin de la projection, une question se pose : que faire? La réponse de Daniel Favre est simple, faire une capture d’écran, effacer la photo, quitter le groupe et signaler le fait à un adulte. Et le responsable prévention de signaler que l’année dernière, trente-trois cas de nudes sont remontés à la police neuchâteloise. En s’adressant aux élèves les plus « connectés », Daniel Favre suggère poliment de partager cette vidéo prenante, « format smartphone », via leurs réseaux sociaux.
Maillon d’une chaîne
Avec les réseaux sociaux, le harcèlement est devenu cyber-harcèlement et celui-ci s’est renforcé. «Il n’y pas d’évitement possible, le harceleur est dans la poche», image Daniel Favre, une nouvelle fois, en invitant les adolescents à «connecter» leur portable à leur cerveau avant d’envoyer ou de relayer quoi que se soit. Dans le triangle du harcèlement, victime, harceleur et spectateurs, ces derniers peuvent y mettre fin en n’y participant pas ou en signalant le fait. « Le plus grand copain du harceleur c’est le silence ! Briser le silence!», déclare Daniel Favre, en rappelant le numéro d’aide de la police, le 147. La sonnerie retentit et tous les élèves sont pressés de s’en aller. Daniel Favre leur demande encore quelques secondes d’attention pour un message particulier qu’il a recueilli du chanteur Patrick Bruel qui les enjoint à oser « briser le silence » et à parler du harcèlement. Une vidéo enregistrée par le responsable prévention lui-même lors d’un festival en Suisse romande.
Après cette séance, comment estime-t-il son impact sur les élèves présents ? «Certains sont certainement remués ou secoués, mais peut-être auront-ils oublié la semaine prochaine», note Daniel Favre en soulignant que cette prévention est le maillon d’une chaîne qui comprend également l’école et les parents. « Si cela les fait réfléchir, j’ai gagné ma journée », sourit l’affable responsable prévention. Codirecteur du Cercle scolaire du Val-de-Travers, David Hamel est d’un avis identique. «Ces séances donnent une porte d’entrée sur cette thématique», relève-t-il, en précisant que la démarche débute dès la 7e année. Expliquer, informer les élèves des réalités du monde digital et les y confronter, voilà à quoi servait cette séance de prévention, et à un âge où on est « grand » tout en étant encore vulnérable.
Gabriel Risold