Dans lʼhabitacle
De journaliste à copilote de rallye !
Le Courrier vous a dressé le portrait du pilote de rallye vallonnier Mathieu Wyttenbach il y a quelques semaines. à cette occasion, il mʼavait proposé de participer à lʼun de ses entraînements pour me faire mieux « capter » les sensations et les responsabilités dʼun copilote. Jʼai immédiatement accepté sa proposition et jʼétais assis à côté de lui quelques jours plus tard avec lʼattirail du parfait copilote entre les mains. Ma mission : mieux vous faire comprendre ce quʼil y a derrière lʼimage parfois sulfureuse du sport automobile.
En ce jour de mai, jʼarrive à peine à la carrosserie Wyttenbach que je me retrouve avec la « mallette de copilote » entre les mains. Un crayon de papier (pour pouvoir effacer si besoin), des stylos de couleur (pour indiquer les dangers en rouge et remettre au propre en noir, question de visibilité) et un cahier de notes officiel pour le rallye me seront très utiles pour cette petite envolée dʼessai.
On va aller sur une route un peu sinueuse où il nʼy a pas beaucoup de circulation. Ce nʼest pas forcément pour pouvoir rouler vite mais cʼest pour ne pas déranger et ne pas être dérangés.
Pour faire une bonne reconnaissance sur un rallye officiel, il nʼy a pas besoin de rouler vite. Premier enseignement de la journée.
« Je connais la route », ainsi soit-il Mathieu !
Quelques minutes plus tard, nous voilà assis dans sa voiture dʼentraînement dotée dʼun volant de course et de suspensions plus dures afin de bien sentir toutes les aspérités de la route. En traversant Couvet, on sʼaperçoit que la chaussée a des airs de Verdun par endroits mais là nʼest pas la question. Direction le Mont-de-Couvet où mon pilote Mathieu Wyttenbach décide de sʼarrêter.
Cʼest lʼheure du lait mais ça ne devrait pas poser trop de problèmes, je connais la route et les paysans.
Ainsi soit-il !
Cette place de stationnement en montée est typique dʼun départ de spécial. à partir de là, je vais préparer mon poste comme je le fais avant une reconnaissance standard.
Il sort un rouleau de toile et commence à les positionner à différents endroits du tableau de bord près du volant. Mais quʼest-il en train de nous préparer ?
Des bouts de toile qui peuvent nous sauver la vie
Vous avez sûrement déjà remarqué que les volants de voitures de rallye ont une marque distinctive au centre. Cʼest un repère visuel permettant de savoir où est la position neutre (position de midi, pour aller tout droit). Je positionne des morceaux de toile par rapport à cette marque pour connaître lʼangle de mes virages. Si mon volant atteint le premier bout de toile cʼest un virage 5 (quasiment droit). Sʼil atteint le deuxième morceau cʼest un virage 4 et ainsi de suite jusquʼà 1 (épingle).
Tout sʼexplique ! Deuxième enseignement de la journée. On est parés pour commencer la reconnaissance qui se fait toujours en trois passages. Lors de la première, le pilote dicte les informations au copilote. Il estime lʼangle des virages et la distance entre les courbes.
« Les distances exactes, on sʼen fiche !»
Ce sont des estimations propres à chaque conducteur. Pour lʼun ce sera 100 mètres et pour lʼautre 250 mètres. Au final, aucun des deux nʼaura peut-être raison mais on sʼen fiche puisque ces indications doivent leur parler à eux.
Pendant ce premier passage, on roule doucement pour ne passer à côté dʼaucun piège. On recule même parfois pour mieux estimer les dangers. Ce qui nous permet de glisser des informations sur comment négocier les virages. « Sors à fond » sʼil nʼy a aucun piège, « pas corde » sʼil y a du gravier ou un nid de poule dans un virage et ainsi de suite. Lors du second passage, le copilote lit les notes tout en levant les yeux pour trouver ses propres repères. Par exemple la présence dʼune souche entre deux virages. ça lui permet de donner les indications au bon moment à son pilote.
Lire la route dans le bon tempo
À la fin des deux passages, les notes sont remises au propre puis on repart pour un troisième passage en conditions « réelles ». Les secousses deviennent alors dʼautres repères permettant de lire la route au fur et à mesure de lʼavancée de la voiture. Savoir repérer les virages à lʼavance est primordial. Je dois donner les informations relatives au prochain tronçon de route lorsquʼon entre dans le virage précédent. Bref, je dois toujours avoir un coup dʼavance sur le pilote pour quʼil nʼait pas à réfléchir une seconde au moment dʼaborder la courbe suivante. Le rythme est élevé et il ne faut pas se louper. Sur une course, une spéciale peut dépasser les vingt kilomètres et il ne faut jamais perdre le fil, sous peine dʼêtre sanctionné immédiatement par une sortie de route.
Gagner des secondes là où les autres vont en perdre
Ce jour-là, nous ne sommes quʼen entraînement. Et pourtant, lʼexcitation nous gagne inéluctablement passage après passage. Plus je suis dans le bon tempo, plus on peut aller vite. Je comprends quʼune course de rallye ne se résume pas à « aller vite ». Il faut surtout bien lire la route et ses dangers en amont pour renseigner son pilote efficacement. Il faut gagner des secondes là où nos concurrents vont en perdre. Cʼest un jeu qui devient vite addictif et il faut savoir garder la tête froide. Un dernier coup de frein, une épingle puis une accélération sur deux cents mètres et nous voilà à lʼarrivée. Mathieu Wyttenbach se dit étonné par mon aisance à le guider. Son pilotage a été parfait. Personnellement, jʼai compris que cʼest une discipline bien plus subtile et complète que ce quʼelle ne laisse paraître à première vue. Jʼai arrêté de calculer le nombre dʼenseignements retenus durant cette journée tant il y en a eu. Au fait Mathieu, quel est notre chrono, on est sur le podium ?
Kevin Vaucher