Patrimoine
Une bouteille naufragée pour retracer un pan d’histoire
Demain vendredi soir, la Maison de l’absinthe inaugure sa nouvelle exposition temporaire intitulée « Une bouteille à la mer ». Celle-ci retrace la destinée exceptionnelle d’un flacon d’absinthe de Couvet, parti en bateau en 1871 depuis Bordeaux ; perdu dans un naufrage en 1872 et retrouvé 120 ans plus tard. Symbole idéal pour aborder l’âge d’or du breuvage et la mondialisation au 19e siècle.
Novembre 1871, plus de 500 bouteilles d’absinthe de Couvet, E. Pernod et Pernod Fils, sont embarquées sur le Marie-Thérèse, navire marchand, à Bordeaux, à destination de Saigon, en ce qui s’appelait encore la Cochinchine, colonie française. Leurs contenus ne connaîtront malheureusement jamais une fontaine ou une cuillère à absinthe, le bateau sombrant dans le détroit de Gaspar, en mer de Java, au large de Batavia, l’actuelle Jakarta. L’une de ces bouteilles de fée verte est l’objet de la nouvelle exposition temporaire de la Maison de l’absinthe (MABS) à Môtiers. « C’est un objet parfait pour raconter une époque, ses pratiques et son commerce, et qui est celle de l’âge d’or de l’absinthe », explique Raphaël Gasser, directeur de la MABS.
La bouteille en question est présente à la MABS depuis les débuts de l’institution, grâce à l’historien Pierre-André Delachaux qui l’avait obtenue via les découvreurs de l’épave, et avait une petite place d’exposition, mais rien de dédié entièrement à son histoire, ni à celle du navire ou du reste de la cargaison.
Cela est désormais chose faite. « À examiner la cargaison, il y a certes différents objets du quotidien, vaisselle ou pipes, mais il s’agit principalement de boissons, vins, champagnes et liqueurs fines », détaille le directeur, avec fascination. « Il s’agit d’abreuver une colonie ». En plus de la fameuse bouteille d’absinthe, d’autres contenants avec encore un peu de nectar sont présentés lors de l’exposition, tout comme des objets récupérés par l’équipe de prospecteurs et chercheurs.
« Trésor » pour les historiens
La découverte de l’épave de la Marie-Thérèse est faite en 1991, par une société suisse de prospection et recherche sous-marine, au Pentagon. Celle-ci la détecte, à environ 40 mètres de fond, durant les années quatre-vingt et choisit de monter une équipe composée d’archéologues et d’experts pour l’explorer.
« Oui, au départ il y avait un intérêt commercial, mais l’aspect scientifique à tout de suite été mis en avant », précise Raphaël Gasser, ajoutant que dès la découverte de l’épave des licences gouvernementales indonésiennes furent octroyées. La campagne de fouilles, nommée « Gaspar Operation », dure trois ans et quantité d’objets sont remontés des flots. Les détails de cette expédition sont d’ailleurs contés par les principaux protagonistes dans l’exposition.
Malheureusement pour les prospecteurs qui espéraient dénicher un trésor, rien de vraiment précieux ne fut découvert. « Cette facette est aussi présente dans cette exposition, il y a l’histoire de cette bouteille, son contexte historique, et le récit de cette chasse au trésor qui, finalement, n’a pas débouché sur grand-chose, en tout cas pas un réel trésor », développe Raphaël Gasser. Toutefois, les artefacts découverts en sont un pour les historiens. Au travers du paradigme de cette bouteille d’absinthe et de son destin, l’exposition de la MABS retrace l’histoire de l’absinthe à son apogée et du commerce maritime, ainsi que l’incroyable expédition qui l’a découverte. Ponctuée par les témoignages vidéo des découvreurs de l’épave, et des expertises de l’archéologue en cheffe et
de l’historien Pierre-André Delachaux, elle nous démontre ce
qu’est la mondialisation au 19e siècle et que l’envoi de produits à l’autre bout du monde n’est pas nouveau.
Gabriel Risold
Maison de l’absinthe, « Une bouteille à la mer ». Du 25 octobre 2024 au 30 septembre 2025.