Oreste Pellegrini et Lucie Milanov
Une performance « frondeuse » de haut vol
Oreste Pellegrini, l’artiste connu du Val-de-Travers, Valtraversin d’adoption depuis 1995, poursuit son œuvre de « résistant ». Envers et contre tout ! Imbibé de l’esprit frondeur des gens d’ici, en collaboration avec Lucie Milanov, il vient de réaliser une véritable performance. En lien étroit avec le viaduc de Saint-Sulpice. Une performance de haut vol…
De la liberté de l’art ! À l’heure de la restriction de nos libertés échappe-t-il à ce courant ? Etienne Barilier avait, en son temps, posé l’affirmation : « La politique est l’art du possible. Quant à la culture, c’est l’art d’élargir le champ du possible ». Oreste Pellegrini et Lucie Milanov viennent d’élargir le champ de possibles !
Celles et ceux qui connaissent Oreste le savent, « une immense et intense sensibilité dans une carapace de pierre »… À l’image de ses créations, de son œuvre, de sa démarche. Ses vitraux par exemple… Avec Oreste, ce n’est pas la lumière qui vient aux vitraux, ce sont les vitraux qui vont à la lumière. Inversion toute simple à laquelle il fallait penser pour donner, mieux et davantage de couleurs à l’environnement, à la vie. Ses vitraux insérés dans des cadres de bois, soutenus par un bloc de béton, sont désormais déplaçables au gré de l’heure du jour, de la météo, de la provenance du soleil. Nul doute que Lermite aurait apprécié.
L’essentiel est ailleurs encore. Depuis tout jeune, Oreste a un rapport particulier à l’eau. Avec son père, ils remontaient l’Areuse pour pêcher. En mémoire à cette période, ses créations accrochées aux parois des gorges, il y a plusieurs années. Rapport à l’eau, pas seulement celle qu’il aime troubler, mais celle des sources offertes par la nature. Les sources et leurs mystères, les sources et leurs énergies, les sources qui fascinent, les sources et leur pouvoir de guérison « magico-religieuse » qui remonte aux Celtes. Le retour aux sources ? C’est ce chemin, plutôt ce cheminement, qu’Oreste effectue. À l’instar de cette « commande » de l’entreprise Klaus, au Locle, en 1984, sur tôle acier de 2 mm de 160 x 130 de surface ! Quarante ans plus tard, il y revient, c’est dire si l’idée de cette performance germe depuis toujours.
Avec la précieuse collaboration de Lucie Milanov, Covassonne de 33 ans… Autre personne, autre parcours, autre démarche artistique. La quête d’une voie d’escalade, adeptes de cet autre art tous les deux, aura donc conduit Oreste et Lucie à imaginer cette démarche artistique, cette performance. Lucie résume la rencontre ainsi : « Il a réveillé l’artiste qui dormait en moi depuis mon plus jeune âge ! ». Depuis toute petite, Lucie adore la peinture. Besoin de s’exprimer qui s’affirme plus fort encore à l’adolescence, la photographie et le graffiti qu’elle se risque à « avouer », cette envie « de faire passer un message ». Lucie rejoint donc l’atelier d’Oreste et le déclic survient en découvrant ses créations.
Lors de l’ouverture de cette voie nouvelle, cela ne vous étonnera pas, Oreste propose à Lucie de « poser » un de ses graffitis sur une arche du viaduc de Saint-Sulpice. Belle opportunité que Lucie transforme, afin de demeurer dans la légalité. « En révolte contre une société au sein de laquelle je peine à trouver ma place, à être reconnue pour ce que je suis, j’ai appris tout de même à réfréner mes envies de transgression. J’ai donc proposé une autre forme artistique à Oreste. Le lendemain, il avait commandé cette immense plaque métallique ! ».
Oreste et Lucie, un savant alliage de douceurs et de duretés. Mais surtout deux esprits frondeurs, à l’image du Val-de-Travers. Comme le dit René Char : « À ne rien troubler, on ne mérite ni respect ni égards ! ».
Aujourd’hui, l’œuvre est terminée. Et suspendue… Cimaise naturelle, l’arche du viaduc de Saint-Sulpice. Oreste a enfourché harnais, cordes, pitons et autres perceuse… Sans rien dire à personne. Lucie était présente, bien sûr !
L’œuvre fait désormais, modestement, un joli clin d’œil au drapeau suisse de Môtiers. Quand les esprits frondeurs se rencontrent ou, tout au moins, se saluent de loin. En catimini ! Pour le bien du Val-de-Travers !
Claude-Alain Kleiner