L’ombre de Churchill plane sur Les Verrières
C’est en février 1871 que l’armée française, dirigée par le général Bourbaki, trouva refuge du côté des Verrières. Plus de 150 ans plus tard, ce fait historique est encore prégnant dans les mémoires et se transmet de génération en génération. Hier mercredi, l’importance symbolique de cet acte « humanitaire » en plein désastre militaire a été rappelée comme chaque année, au pied du monument Bourbaki du temple des Verrières. Cette solidarité franco-suisse n’est pas sans se rapprocher de ce qui se passe aujourd’hui avec le retour de la guerre en Europe et le « front commun » européen autour de l’Ukraine.
Inutile de faire de grandes phrases pour vous démontrer l’importance accordée au souvenir de cet épisode de 1871. Il suffit de jeter un œil sur le parterre d’invités présents lors de la commémoration pour s’en convaincre. Damien Cottier, Benoît Simon-Vermot, Daniel Galster, Mike Simon-Vermot, Nathan Jeanrenaud… et j’arrête là car Christian Mermet a mis deux minutes pour citer tout le monde. « Ça va être long, je m’en excuse, mais c’est nécessaire », avait prévenu le président de l’Association Bourbaki avant de commencer son « récital ». Il n’avait pas menti ! Plus sérieusement, il a ensuite posé une question plutôt sensée : « En préparant cette prise de parole, je me suis demandé quel sens cela avait-il de rappeler sans cesse les mêmes choses chaque année dans le cadre de cette commémoration ? »
Les Verrières, un lieu de responsabilités
La réponse n’est pas à chercher bien loin. « L’histoire est têtue et les faits nous rattrapent toujours. Jusqu’à l’invasion russe, l’Europe se pensait à l’abri du retour de la guerre dans son environnement. Et pourtant, l’histoire a prouvé qu’elle ne l’était pas. » Pour Christian Mermet, le parallèle ne s’arrête pas là. « En 1871, la Suisse avait accueilli quelque 89’000 soldats français et aujourd’hui, nous en sommes à environ 70’000 Ukrainiens. L’humanité et l’hospitalité rassemblent ces deux périodes de notre histoire. Mais hier, comme aujourd’hui, c’est la question de neutralité qui entre en conflit avec nos valeurs. Pouvons-nous réellement rester neutres devant les atrocités que la guerre engendre ? »
Cette question, on se la pose de plus en plus actuellement du côté français. En France, c’est plutôt jusqu’où peuvent-ils aller dans l’envoi d’armes aux Ukrainiens qu’ils se demandent. Mais en toile de fond, la problématique est la même. « Quelles responsabilités les pays non engagés dans un conflit peuvent-ils et doivent-ils prendre ? » Pour venir en aide aux soldats du général Bourbaki, la Suisse avait su prendre ses responsabilités, il y a 152 ans. Donc, quel sens cela a-t-il de commémorer chaque année ce fait historique entre la Suisse et la France ? Eh bien, cela prouve que notre pays avait su prendre ses responsabilités du côté des Verrières.
« Ce qui a été accompli est grand »
Après les moments forts de l’appel aux morts, de la minute de silence et du dépôt de deux couronnes sur le monument hommage aux Bourbaki, c’est le colonel Arnaud Brunetta qui a pris la parole. « C’est ici, aux Verrières, que des soldats épuisés, blessés et malades ont trouvé refuge, dans le froid, il y a plus d’un demi-siècle. Si le froid va être fêté ce week-end à La Brévine, il n’avait rien de festif à l’époque. Il soufflait avec lui l’ombre de la mort », répand celui qui est attaché de défense à l’ambassade de France à Berne.
Il poursuit : « Le peuple suisse a fait un effort considérable en 1871. Il s’est privé pour donner un peu de lui-même aux soldats français. Il est bon de le commémorer car ce qui a été accompli est grand et ce que fait l’Association Bourbaki – et Les Verrières – pour le rappeler l’est tout autant. Winston Churchill a dit : un peuple qui oublie son passé se condamne à le revivre. » L’Europe avait oublié son passé, marqué par la guerre, et elle est aujourd’hui condamnée à la revivre. Il n’y a pas meilleure démonstration. Une salve d’honneur de la Batterie 14 a terminé ce moment, finalement rempli de sens, en beauté et en détonation. Le jour de gloire helvétique a été dignement fêté.
Kevin Vaucher