Lettres ouvertes
Le Père Noël désemparé
Il y eut, dans le ciel, comme une étoile filante musicale : on vit apparaître un traîneau rutilant dʼun rouge éclatant bordé dʼor et décoré dʼétoiles aux teintes de bronze, dʼargent et dʼor alternées ; il débordait de sacs de jute bombés, sur lesquels figuraient les prénoms de dizaines dʼenfants, et, parfois, la tête dʼune poupée ou le bec dʼune flûte dépassait. De petits grelots étaient accrochés au cou de la dizaine de rennes qui tiraient lʼembarcation féerique et, à chaque mouvement quelque peu brusque, une douce mélodie retentissait, qui avait le don de fermer les yeux des petits impatients qui guettaient, dans le noir de leur chambre, la venue du Père Noël.
Le cher homme se faisait bien vieux… le cœur nʼy était plus depuis que les gens se barricadaient face à un virus qui nʼavait plus rien de nouveau (nous étions alors en 2027… et à la neuvième dose de vaccin…), hormis lʼune ou lʼautre mutation qui aurait fait blanchir les cheveux de certains ministres de la santé, sʼils ne les avaient pas déjà perdus depuis des lustres. En fait, les gens ne se barricadaient pas : on le barricadait, ce au nom dʼun danger sanitaire latent plus ou moins fort, mais contre lequel les mesures prises étaient, pour la plupart, sans grand effet. Il faut dire que la panique des gouvernements cantonaux et du gouvernement central leur faisait promulguer nombre de sottises…
La Père Noël posa son traîneau en équilibre précaire sur le faîte dʼun toit, se saisit dʼune petite hotte dans laquelle il glissa quelques objets déjà emballés et se dirigea vers la cheminée. Il eut la surprise dʼy trouver, calés par des pierres, deux messages. Le premier disait : « Cher Père Noël, nous sommes dix à table ce soir, et nous ne sommes pas tous vaccinés. Alors afin de ne pas nous mettre hors-la-loi, merci de ne pas venir », alors que lʼautre stipulait : « Nous sommes en quarantaine, cher Père Noël : ne prenez pas le risque de contaminer des milliers dʼenfants, merci. » Le vieil homme remonta dans son véhicule et demeura là, les bras ballants, la tête lourde de sombres pensées : ce nʼétait pas les premiers messages quʼil trouvait… il allait devoir, comme pour les années précédentes, faire des demandes de RHT en remplissant un formulaire par pays visité, à lʼexclusion de ceux où il avait interdiction de se rendre, à savoir ceux où tout trafic aérien était interdit. Malgré tout, le chiffre lui donna le vertige ! Certains de ses rennes se réjouissaient de rentrer plus tôt au pôle Nord, mais ils déchantaient en constatant que la ration de fourrage était moindre… lʼentreprise du Père Noël était devenue déficitaire, et le sursis concordataire menaçait.
À quelques pas de là, un petit garçon, sa mère et sa grand-mère, qui tous espéraient des jours meilleurs, rédigeaient chacun une lettre : lʼenfant sʼadressait précisément au Père Noël, la vieille dame au Bon Dieu et la maman au monde politique fédéral.
Bien loin au-dessus dʼeux, un homme au doux visage contemplait la terre et se demandait si, cette fois-ci, il ne serait pas temps de redescendre parmi les humains ; tournant la tête vers son Père, il vit dans le regard de celui-ci quʼil était encore trop tôt. Alors il porta ses mains meurtries à ses yeux et essuya les larmes qui perlaient au coin de ses yeux miséricordieux.
« Paix sur la Terre aux hommes de bonne volonté »
Sylvain Moser, Les Verrières