Les familles portant le patronyme Berthoud au Val-de-Travers et dans le canton de Neuchâtel
Ces familles ont fait depuis de nombreuses années l’objet de recherches dispersées sur différentes personnalités qui ont marqué l’histoire de notre Vallon, et souvent plus largement celle du canton, ou même des cantons voisins. Le rapprochement des renseignements concernant ces personnages éparpillés était depuis longtemps l’objectif de généalogistes amateurs, devenus parfois quasi professionnels très qualifiés. Il est temps maintenant de tenter la rédaction d’une synthèse de leurs travaux, recherches et découvertes, à la lumière des renseignements mis en commun dans une atmosphère de coopération ouverte et constructive de nos chercheurs contemporains, certains hélas décédés depuis quelques années, mais pour la plupart encore actifs, curieux et bien vivants. Il faut rendre hommage aux pionniers disparus, commue Pierre-Arnold Borel et Eric-André Klauser, avec lesquels j’ai eu le privilège de travailler longuement, qui ont entrepris les premiers « défrichages » de nos recherches, et saluer amicalement les toujours actifs Michel Kreiss, Alain Bezençon, mes cousins Michel Dennis et Derrick Deane, vaillants navigateurs sur les réseaux numériques internationaux, à la recherche de notre parentale disséminée loin du Val-de-Travers natal de leurs origines. Un très grand merci à tous pour leur coopération et un merci particulier à Ariane Brunko-Méautis, présidente dévouée et très efficace de notre Association « Les Berthoud, des racines et des branches », fondée en 2009 à Fleurier.
Le secrétaire de l’association, Michel Clément-Grandcourt
Les Berthoud du Val-de-Travers étaient connus avec une relative précision par les recherches de Pierre-Arnold Borel remontant à Jehannin Berthod, repéré aux Bayards comme vivant en 1422, et à son probable petit-fils Regnault Berthod, repéré à Fleurier, mais sans date précise.
C’est à Jehannin Berthod qu’il a été attribué alors le rang I comme origine de la famille ; il était propriétaire à La Chaux de Remosses, hameau de la partie sud ouest de la vallée de La Brévine, entre Bémont et Les Jordans.
Nous avons ensuite attribué le rang II à Regnault Berthod qui doit être né vers 1450, compte tenu des dates auxquelles on trouve ensuite ses fils à Fleurier (gén. III).
– Pierre 1er, né vers 1480, mort en 1552
– Jehan (? après 1553), sans descendance
– Éventuellement un troisième, Othenin, né vers 1485, mort avant 1550, que P.-A. Borel et moi avons considéré comme pouvant être la tige des Berthoud de Plancemont.
Nous avons alors pensé que Pierre 1er était à l’origine de la branche aînée, la descendance d’Othenin constituant une branche cadette, et nous avons adopté cette conception, compte tenu de nos connaissances à cette époque (entre 2001 et 2005). Mais la suite de nos recherches, bien après le décès de P.-A. Borel, jusqu’en 2019, nous a conduits à remettre en question cette conception.
Par un concours de circonstances complètement inattendues et presque simultanées, dans notre maison du Pasquier 16 à Fleurier, d’une part, et par Derrick Deane grâce à internet au Musée d’état du Colorado à Denver, à la recherche des documents sur une branche des Berthoud devenue américaine au 19e siècle, dans la descendance directe de Pierre 1er, d’autre part, nous avons pu faire des recoupements avec l’histoire médiévale des territoires qui conviaient alors une large part de l’Europe du centre-ouest. Nous y reviendrons plus loin.
Une bonne partie du Dauphiné et des deux départements savoyards français actuels, la partie romande de la Suisse de l’ouest et de grandes parties de la Franche-Comté et de la Bourgogne étaient alors occupées par des populations d’origine allobrogienne, du nom des tribus gallo-romaines des Allobroges, dont le souvenir est resté dans des noms de rues ou de quartiers, à Chambéry pour les Savoyads, à Dijon pour les Burgondes.
L’une des familles les plus actives et conquérantes dans la partie orientale de ces territoires était celle des ducs de Zähringen, qui ont dominé progressivement au 12e siècle et jusqu’à 1218 au 13e siècle une vaste région jusqu’à la Lorraine actuelle au nord de la Bourgogne. Un ou plusieurs descendants des Zähringen ont pu contracter des mariages – d’amour ou d’intérêt politique – avec des descendants de même origine ethnique allobrogienne pour concrétiser ou renforcer une alliance.
Il était d’un intérêt vital de s’entraider dans une situation inconfortable entre puissants voisins plus ou moins menaçants, à l’est le Saint-Empire romain-germanique, et à l’ouest le royaume de France.
Les résultats de ces unions ont été les naissances de fils prénommés d’une manière quasi systématique Berthoud. Les recherches de l’historien neuchâtelois Jean-Pierre Jelmini, publiées en 2004 dans le chapitre intitulé « Le lac de Neuchâtel, carrefour millénaire » (pages 91 à 113) de l’ouvrage collectif « Le lac de Neuchâtel, miroir d’une région », font état depuis 1157 de la fondation des villes de Fribourg et Morat par Berthold IV de Zähringen, et de la fondation de la vallée de Verne en 1191 par Berthold V de Zähringen.
Ces numérotations de générations IV et V impliquent une continuité dynastique antérieure dans le choix des prénoms (avec diverses variantes (Berthoulx, Berthould, Berthod, Berthoud) dans cette famille dynamique et entreprenante des comtes ducs de Zähringen. Il paraît donc logique de dater de 1180 environ la naissance de Berthold VI.
Mais l’Europe chrétienne de cette époque était engagée dans la quatrième croisade contre les Turcs et les musulmans arabes et égyptiens pour reconquérir les lieux saints du Proche-Orient. Les résultats de ces entreprises guerrières furent plus que décevants, et bien des participants n’en revinrent pas, ou pour le moins malades et ruinés. Ce fut sans doute la cause de la disparition des derniers ducs de Zähringen en 1218. Seuls leurs plus jeunes descendants en réchappèrent et revinrent vivants, comme Berthold VI et peut-être Ulrich III, coseigneur de Neuchâtel de 1196 à 1226.
Berthold VI, en qualité de fils de duc et d’ancien compagnon d’armes avait mérité le titre de comte Berthoud (du latin comes, comitis).
Mais cette double domination féodale ne devait pas durer et en 1226 les deux coseigneurs décidèrent de séparer leur domaine. Ulrich III prit la tête des territoires de langue allemande à l’est et Berthold devint comte Berthoud 1er de Neuchâtel de 1226 à 1260. Il fut sans doute lié à la construction de la petite bourgade fortifiée de Berthoud, au nord de Berne, sur la frontière linguistique de l’allemand et du français. Devant la poussée prédominante des Habsbourg, Berthoud devint Burgdorf (le village fortifié) et les Berthoud se réfugièrent en Suisse romande sous la protection de seigneurs d’origines burgondes et françaises.
Compte tenu de leur triste état d’infortune, ils durent se soumettre à la position sociale de serfs. Les serfs étaient, par leurs personnes et par leurs biens, descendants d’un maître et seigneur, attachés à son domaine, ils les cultivaient moyennant une redevance. Si le seigneur vendait une partie de son domaine, les serfs étaient cédés. Toutefois ils n’étaient pas considérés comme des esclaves, mais seulement « attachés à la glèbe ». Lorsqu’ils avaient acquitté les redevances et leurs impôts, et satisfait aux devoirs imposés et fait les corvées, ils pouvaient disposer du restant de leurs gains, de sorte qu’ils avaient intérêt à cultiver les terres et élever du bétail le plus avantageusement possible, ce qui ouvrait une possibilité de progrès économique et éventuellement social. Deux siècles s’étaient écoulés sous ce régime, deux autres siècles s’écoulèrent encore jusqu’en 1628, date à laquelle Jean 1er Berthoud (1560-1634) fut affranchi ainsi que les descendants nés et à venir, en qualité de citoyens de droit.
Cet affranchissement trouvait peut-être sa justification tardive dans le souvenir précieusement conservé dans les familles Berthoud, jusqu’alors « de serve condition », dont les membres avaient su tirer parti de leur ardeur au travail pour mériter la considération de leurs contemporains.
Parallèlement, un autre rameau des descendants du comte Berthoudx semble avoir aussi suivi le mouvement de la famille vers la Suisse romande pour s’installer au Val-de-Travers, à Plancemont-sur-Couvet, sur des terres bien exposées au soleil et relativement faciles à mettre en valeur.
Nos découvertes de 2019 dans les archives Berthoud du Musée d’état du Colorado à Denver font état des souvenirs consignés par Edouard-Louis Berthoud (1828-1908) dans ses archives personnelles, et ses récits de vive voix à son petit-neveu Alexander Hoyle-Berthoud (né vers 1881) tous deux vivant à Golden (colorado) (+).
(+) Nous avons pu vérifier personnellement les détails et les précisions qu’ils ont consignés dans leurs correspondances et publications pour n’avoir aucun doute sur la véracité de leurs récits : lettres d’Edouard-Louis Berthoud, de 1873 à 1889, à son cousin Fritz Berthoud (1812-1890) à Fleurier (archives Clément), et utilisées pour écrire et publier en 2010 la biographie de leur auteur (Éditions Attinger à Hauterive, Neuchâtel). Quant à Alexander Hoyle, il a publié en 1942 son ouvrage intitulé « Raising hell’s delights », ses souvenirs de ses conversations avec son grand-oncle edouard-Louis Berthoud. Il semble donc qu’on peut se fier aux excellentes mémoires de ces auteurs.
D’après ces auteurs, la première mention de l’installation de ce rameau des Berthoud à Plancemont peut être datée de 1242 ou 1245. Ces renseignements ne pouvaient être connus par P.-A. Borel lors de la publication de ses recherches et hypothèses de filiation directe entre Regnault Berthoud et Othenin.
La souche des Berthoud de Plancemont semble donc remonter à une période contemporaine – peut-être un peu plus récente – de l’installation des descendants du comte Berthoud en d’autres lieux du Val-de-Travers (Les Bayards, puis Fleurier). Les dates sont compatibles. Othenin Berthoud, né vers 1485, ne serait donc pas le fils de Regnault, mais un cousin ou arrière-cousin de Pierre 1er Berthoud, et non son frère cadet.
De toutes façons, s’ils n’étaient pas proches par le sang, ils étaient proches géographiquement et sont restés fidèles au Val-de-Travers depuis plus de sept siècles et demi, c’est-à -dire antérieurement au 1er août 1291 pour la fondation de l’ébauche de la Confédération helvétique au pré du Rutli.
Ces découvertes nous conduisent à classer les familles portant le patronyme Berthoud (sous différentes orthographes en raison de l’évolution des populations) parmi les plus anciens habitants de notre Vallon, un demi-siècle avant la première ébauche de la Confédération.