Dis sœurette, c’était comment la vie avant?
91 ans ! C’est l’âge de Marcelle Divernois, plus connue sous le surnom de « sœurette ». La simplicité et la gentillesse de cette femme n’ont d’égal que ses anecdotes sur la vie d’époque de Saint-Sulpice. Avec elle, chaque recoin du village donne vie à une histoire qu’elle prend soin de raconter avec toute sa sensibilité. Nous avons pris la route avec elle pour parcourir quelques lieux et vous raconter ainsi quelques morceaux de la vie d’avant. Nostalgie et émotions ont été nos compagnons de route.
« Cette maison, on l’appelait la maison des riches car elle avait un court de tennis et elle était habitée par des responsables de l’usine de ciment de Saint-Sulpice. Et ici, vous voyez ces vestiges de béton ? C’est tout ce qu’il reste du parcours sur rail qu’empruntaient les wagons vides pour aller se charger de pierres sur les hauteurs du village. Jetez un coup d’œil sur votre gauche, c’était ici qu’était logé le pensionnat du village. Ah oui, c’est au pied de cette lignée de constructions que se trouvaient les bains publics à l’époque. On venait faire la file pour faire notre lessive. Il y avait deux grandes baignoires en pierre dans un petit local juste là. » On vous l’avait dit, non ? Avec Marcelle Divernois, un lieu c’est une histoire…
Ahhh le collège de Saint-Sulpice
Et encore, c’est dommage que vous n’ayez pas les images en même temps. Nous voici désormais vers le collège. Ahhh le collège ! « Mes grand-parents habitaient à l’étage de l’école. Ils y étaient concierges. Bien souvent, c’est moi qui me retrouvais à nettoyer les deux grands escaliers. Ma sœur étant asthmatique, elle en était exemptée. Je dois vous avouer que j’en oubliais souvent un des deux », rigole-t-elle volontiers. « Il y avait plus de 70 élèves avec un instituteur et deux institutrices. » L’église était également un lieu de rassemblement apprécié. « Le soir de Noël, c’était l’une des grandes soirées de l’année. Nous, les enfants, nous étions tout fous de recevoir un cornet avec une orange et un biscôme. »
Pour le crottin, c’était le « Bronx »
Il faut dire qu’à cette période, la boulangerie du village ne proposait pas toutes les déclinaisons de viennoiseries que l’on trouve actuellement. « On y achetait du pain et c’était déjà très bien. Nous vivions avec l’essentiel et nous étions heureux comme cela. » Dis « sœurette », c’était pas trop dur ? « Pensez-vous, tout le monde était à la même. Mes parents avaient des poules et nous mangions les œufs. Chaque famille cultivait son bout de jardin. Je me souviens que je ramassais le crottin de cheval sur la route pour faire du bon engrais. Mais je n’osais pas dépasser le collège car chaque rue ‹ appartenait › à une famille. » Un peu comme dans le Bronx, à chaque parcelle son clan…
Le rituel de la criée en forêt
Et pour se chauffer, pas de mazout à cette époque, le bois était donc une denrée recherchée. Pour m’en parler, Madame Divernois me demande de couper à travers la forêt en quête de la cabane à Carassini. « Qu’est-ce qu’on en a passé du temps ici quand nous étions petites. Je ne sais pas si elle existe toujours mais qu’est-ce que j’aimerais la revoir un jour. Ça fait si longtemps que je ne l’ai plus revue. »
Pendant que nous cheminons sur des chemins plus ou moins carrossables, elle m’explique le rituel de la criée : « Le bois se vendait à même la forêt, au plus offrant et stère après stère. Des billons étaient aussi descendus à cheval à la fabrique de pâte à bois. Ils y étaient découpés. Plusieurs familles se rendaient directement à l’usine pour y récupérer l’écorce gratuitement. »
Puis, arrive le Graal…
Tout à coup, la fameuse cabane sort peu à peu des branchages. « Ohlala, elle est là ! Merci mon Dieu. La cabane à Carassini, qu’est-ce que je suis contente. Merci beaucoup », dit-elle submergée par ses souvenirs qui remontent tout à coup à la surface avec quelques perles salées sur les joues. « J’en pleure de joie ! » Le flot d’anecdotes déborde alors littéralement. Elle évoque tour à tour sa joie d’avoir appris le métier de régleuse, la fabrique de ciment où elle aimait aller se faufiler pour guigner ce qui se passait ou encore les drôles de WC dans lesquels se succédaient les huit personnes qui habitaient sous le même toit. « Nous devions sortir de la maison dans le noir, traverser une grange et ouvrir une vieille planche de bois pour faire notre ‹ petite affaire ›. C’était une autre époque. » Non, c’était une belle époque « sœurette »…
Kevin Vaucher