Dans le rétro…viseur
Des vacances à la ferme dans les années 1940
Le naufrage dramatique du Titanic…La neige qui devient rougeâtre pendant la nuit…Le « Pétard-Baromètre »…
Je passais toutes mes vacances scolaires dans une ferme située à 1000 m dʼaltitude, dans le canton de Neuchâtel, exploitée par lʼun de mes oncles, son épouse et leurs deux enfants adultes, lʼaîné artiste-peintre et sculpteur, la cadette professeure de piano. Donc, une famille peu banale.
Cʼétait lʼété. Jʼavais 10 ans
Le premier jour, jʼavais lʼennui, je pleurais ! Jʼallais « raconter » mon chagrin aux poules ; surprises par mon intrusion, elles caquetaient bruyamment ! Jʼavais lʼimpression quʼelles me comprenaient et jʼétais apaisée.
Les tâches ménagères, les travaux des champs et les soins aux animaux occupaient toutes nos journées. La traite dʼune vingtaine de vaches avait lieu deux fois par jour. Deux hommes étaient chargés de cette tâche. Assis sur une espèce de tabouret « appelé botte-cul » avec un placet rond, un pied central et deux lanières de cuir qui sʼattachaient à la taille, ils me paraissaient en équilibre précaire !
Chacun appuyant la tête contre la panse de la vache, le contact était établi ! Dʼun geste précis, ils faisaient jaillir le lait des pis en cadence, dans un seillon. Pour moi, cʼétait un moment privilégié ; tous les matins je pouvais boire un verre de « chaud-lait » ! Avant de transvaser le lait dans les boilles destinées à la laiterie, nous prélevions quelques litres que nous mettions dans de grandes bassines, pour récupérer la crème et en faire un beurre exquis ! Jʼétais chargée de faire tourner la baratte !
La saison des foins venant, les faucheurs aiguisaient leurs faux ; jʼentends encore le bruit particulier de la pierre trempant dans lʼeau quʼils tiraient du « couvier » attaché à la taille, quʼils passaient et repassaient sur la lame. Lorsque lʼherbe était coupée sur une surface définie, on formait des andins quʼil fallait tourner et retourner à la fourche. Si la météo était bonne, le foin bien séché, pouvait être engrangé, une lourde tâche à laquelle toute la famille participait !
Pendant lʼété, nous redoutions les orages violents et pour cause : deux personnes occupées à la grange ont été témoins du passage dʼune mystérieuse boule de feu, de la grosseur dʼun ballon de football qui est entrée par la porte et est ressortie par une fenêtre, sans bruit ! Quelques semaines après, la foudre est tombée sur la cheminée et a démoli le fourneau de la cuisine. Désormais, en cas de menaces orageuses, nous devions nous tenir prêts à sortir de la maison, la nuit surtout !
Si, du lundi au samedi, nos activités physiques étaient intenses, la vie culturelle du dimanche lʼétait tout autant ! Le chef de famille nous réunissait dans le grand salon de la ferme où trônait un imposant piano à queue ! « Habillés du dimanche », nous écoutions les musiciens invités par ma cousine pianiste : un violoniste et une cantatrice interprétaient des œuvres de musique classique. Je vois encore mon oncle, assis très droit dans son costume sombre et sa chemise blanche au col empesé, me faire de temps en temps un petit coup dʼœil !!! Appréciait-il vraiment… était-il harassé par la fatigue de la semaine ? Quant à moi, du haut de mes 10 ans, jʼaimais beaucoup Chopin, mais… le concert terminé, je demandais à ma cousine de me jouer un air à la mode et moi je chantais « Madame la marquise… tout va très bien, pourtant il faut que lʼon vous dise » etc. Elle le faisait volontiers mais, une fois les autres musiciens partis !
Que vient faire le naufrage du Titanic dans mon récit ?
La propriétaire de la ferme voisine, une dame âgée, que nous visitions de temps à autre, nous racontait lʼaventure de sa soeur ; Marthe-Marie Thuilliard, ayant toujours vécu à la ferme, a décidé à lʼâge de 23 ans, de partir pour New York. Avec 2000 autres passagers, elle embarque sur le Titanic réputé insubmersible, le 10 avril 1912 de Southampton. La nuit du 14 au 15 avril : le naufrage tragique que le monde entier connaît aujourdʼhui ! Rescapée, elle écrit à sa sœur, plusieurs mois après, trop choquée pour en parler plus tôt. Elle raconte :
Jʼai réussi à embarquer dans un canot de sauvetage et ensuite sur le Carpathia. Nous nous éloignâmes le plus possible du Titanic, car nous craignions quʼen sombrant il nous engloutît aussi. Peu à peu les lumières sʼéteignirent et disparurent les unes après les autres. On aperçut plus quʼune masse noire. la proue était déjà submergée. Les cris des victimes qui allaient se noyer étaient glaçants, insupportables. On entendit les musiciens encore sur le bateau, exécuter le cantique « Plus près de toi, mon Dieu » ! Il y a eu 700 rescapés !
La neige qui devient rougeâtre en une nuit…
Les propriétaires des fermes voisines disaient tous que leurs ancêtres racontaient la même histoire : un hiver la neige est devenue rougeâtre en une nuit !!! Quelle est lʼorigine de ce mystère ? Cʼest beaucoup plus tard que lʼénigme a été résolue : lʼexplosion gigantesque du Krakatoa en 1883, en Indonésie, qui a duré 5 mois, a généré une telle masse de fumées, quʼelle a fait plusieurs fois le tour de la planète et sʼest déposée partout, y compris dans le canton de Neuchâtel !!!
« Le Pétard-Baromètre »…
De ferme en ferme, une fois par an, un colporteur ouvrait la porte de la maison (qui nʼétait jamais fermée à clef !!!) en lançant un bonjour tonitruant : cʼest le Pétard-Baromètre ! Il portait sur le dos une espèce de caisse dotée de plusieurs petits tiroirs avec un bouton doré qui contenaient : des lacets, des bobines de fil, des boutons, des clous, des aiguilles, de lʼélastique, des punaises, des dés à coudre, etc. etc. Quand il était passé, on pouvait se mettre au raccommodage pendant lʼhiver !
Ainsi se terminaient mes vacances à la ferme. Le dernier jour jʼallais « raconter » mon chagrin aux poules… parce que je devais rentrer à la maison !
Alice Jacot-Descombes,
Le Locle