Conférence
Certes pas indigène, l’absinthe exprime le terroir neuchâtelois
Directeur du jardin botanique de Neuchâtel, Blaise Mulhauser était, jeudi dernier, à la Maison de l’absinthe, à Môtiers, pour une conférence autour de la grande absinthe. Intitulée, « l’absinthe a-t-elle l’accent neuchâtelois ? », celle-ci a attiré une trentaine de personnes, dont beaucoup du domaine de la fameuse boisson.
En mars dernier, une étude dirigée par Blaise Mulhauser, directeur du jardin botanique de Neuchâtel (JbN), et parue dans le Bulletin de la société neuchâteloise des sciences naturelles, concluait que la grande absinthe, Artemisia absinthium, n’était pas une plante indigène de l’Arc jurassien. La plante patrimoniale du canton de Neuchâtel, à la base de la boisson emblématique du Val-de-Travers, doit sa présence dans nos régions à l’activité humaine, soit sa culture, et ne survit dans le milieu naturel qu’une dizaine d’années.
Présent à Môtiers, jeudi dernier, à la Maison de l’absinthe (MABS) pour une conférence intitulée « l’absinthe a-t-elle l’accent neuchâtelois ? », Blaise Mulhauser avait conscience que la conclusion de cette étude qui « a fait un peu le buzz » et « dépassé les frontières » avait pu décontenancer quelque peu les Vallonniers. « Mais cela concerne uniquement l’aspect botanique et non pas l’histoire de la boisson », a-t-il expliqué d’emblée, à la trentaine de personnes présentes, dont de nombreux acteurs du milieu de la fée verte. Cette conférence avait pour objectif de présenter les derniers résultats des recherches du Jardin botanique de Neuchâtel au sujet des génotypes et des métabolomes de la grande absinthe.
Une plante qui prend « l’accent » du lieu
Depuis 2021, les chercheurs du Jardin botanique de Neuchâtel, en collaboration avec celui de Genève pour les analyses génétiques, cultivent 25 populations d’absinthes, de diverses provenances, afin d’étudier comment la plante exprime dans ses molécules les spécificités de son environnement. « Une première étude de ce type sur une plante en métabolomique », a relevé Blaise Mulhauser. Et les premiers résultats le confirment, les plants de grande absinthe prennent « l’accent neuchâtelois » depuis qu’ils sont cultivés au jardin botanique de Neuchâtel. Ainsi, la plante, cultivée à un autre endroit que celui de son origine, développe des molécules différentes. À l’instar de la vigne, dont les cépages s’expriment différemment selon leur terroir, la grande absinthe fait de même. Cette expression n’est que peu visible dans le génome de la plante, les absinthes provenant du Val-de-Travers étant pour la plupart génétiquement très proches des plants étudiés en Valais.
A contrario, une expression spécifique se constate nettement dans les métabolites des absinthes, soit les molécules produites par la plante pour se défendre et évoluer dans son environnement, comme lutter contre des nuisibles ou certaines conditions climatiques. « Le résultat le plus important c’est la manière dont la plante exprime son terroir », a souligné le botaniste, qui remarque qu’un « pouvoir des plantes existe ». De plus, selon cette étude, celui-ci s’exprime un peu plus dans la fleur que dans les feuilles, et ce après uniquement quelques années de culture à Neuchâtel. « Nous ouvrons peut-être une boîte de Pandore aujourd’hui », a imagé Blaise Mulhauser. En effet, de prochaines études pourraient orienter les cultivateurs, sur les lieux propices pour développer certaines molécules de l’absinthe, ou les distillateurs, à quelle période de l’année récolter la plante.
Gabriel Risold