Sur les traces des trésors cachés du Val−de−Travers
Type de mission : localiser et faire parler l’insaisissasble Yvan Perrin
Renseignements sur l’objectif : discret, méfiant voire craintif.
Localisation de l’objectif : La Côte-aux-Fées – date : un jour de canicule
Observations du terrain : l’homme sort peu de l’ombre ces dernières années.
Individu de caractère que certains semblent craindre. Règle d’or : ne pas se fier aux idées reçues et investiguer.
Yvan Perrin a la carrure de l’homme qu’on ne bouscule pas. Un homme que rien ne semble pouvoir atteindre. De prime abord, on pourrait l’appeler l’insubmersible Monsieur Perrin ! Ses adversaires y voient une certaine froideur que des déboires personnels sont venus involontairement renforcer. Le simple fait d’évoquer son nom sentirait le souffre ! D’un autre côté, c’est incontestablement l’un des grands personnages politiques vallonniers de ces dernières décennies. De simple militant, il s’est hissé au sommet de son parti politique, l’UDC. Il a également connu les plus hautes responsabilités cantonales au Conseil d’État. Mais il a également vu l’enfer de ses propres yeux. Tombé de haut, il a connu le « très bas » et le désespoir des cliniques psychiatriques. L’insubmersible avait coulé au point de songer à ne plus remonter et à « tirer la prise ».
L’ancien policier à l’ombre !
Trouver Yvan Perrin a finalement été plus simple que prévu. En revanche, le faire sortir de l’ombre est plus compliqué. Je me suis donc rendu sur son terrain à
La Côte-aux-Fées. Depuis que le bistrot du village est fermé, il accueille tous les jours quelques amis chez lui, au « café Perrin », pour boire le café et « tailler le bout de gras ». Tient, l’homme de 56 ans ne serait pas le sauvage que l’on dépeint parfois ? En tout cas, l’ancien policier s’est volontairement mis à l’ombre depuis quelques années. Assagi ? Non, apaisé ! « J’écris des discours ou des prises de positions pour quelques politiciens. Je ne livre plus les plats, je me contente de les assaisonner en cuisine. » Le Vallonnier n’a pas perdu son sens des formules percutantes, nous voilà rassuré !
Mafia russe et trafic à Bangkok
Ce choix de vie, il le doit à sa bataille gagnée contre son pire ennemi : le stress ! Ses différentes vies professionnelles ne l’ont pas épargné. Après le gymnase, Yvan Perrin opte pour la douane où il travaille durant 2 ans et demi avant de bifurquer dans la police. Ce fils de bûcheron et d’horlogère s’est fait sur le terrain, parfois à la dure ! Spontanément, il se souvient du triple infanticide de La Chaux-de-Fonds. « C’est le pire souvenir de ma carrière de policier. J’ai encore les images devant les yeux. » Il se fige, les yeux dans le vague : « L’un des petits se trouvait sur un lit superposé. Il avait des chaussettes bleues avec une étoile de shérif. Un autre enfant avait un lutin rouge. Ce lutin portait un bonnet vert… » Glaçant ! Le Niquelet adore les enquêtes et « tirer sur le fil » pour débusquer les protagonistes des affaires. Lorsqu’il travaillait pour les stups, il a démantelé un trafic d’amphétamines thaïes. En deux ans et demi, il était parvenu à remonter jusqu’au commanditaire, en Thaïlande. « On avait passé une semaine à Bangkok. Et comme les officiels ont su que j’avais des responsabilités politiques en Suisse, nous avions eu droit aux Mercedes et à l’escorte de motards durant notre séjour. J’ai aussi participé à une enquête sur le crime organisé russe. Nous avions mis à jour une partie du système de blanchiment d’argent qu’il utilisait. Mais le juge a laissé sortir de garde à vue le seul prévenu que nous avions arrêté. »
2014 : l’insubmersible Perrin est touché, coulé…
D’un autre côté, Yvan Perrin monte rapidement les échelons en politique : militant, conseiller communal (2000-2010), conseiller national (2003-2013) et enfin conseiller d’état entre mai 2013 et juin 2014. Pour concilier les deux, il consent à réduire son activité à la police de 50%. Alors qu’il espérait pouvoir aider son canton au Conseil d’état neuchâtelois, cette élection l’a conduit à sa perte ! La faute à un collaborateur qui faisait régner un climat de terreur dans son service. « C’était une terrible épreuve couronnée par deux ans où je suis allé cogner le fond ! Je recevais chaque semaine un employé en pleurs dans mon bureau. Nous devions organiser des réunions secrètes sans ce collaborateur. La charge émotionnelle était forte. » Trop forte ! Son ennemi « le stress » l’a rattrapé et l’a jeté à terre. L’insubmersible Perrin a coulé ! « J’ai finalement réussi à le faire virer pour protéger le personnel mais c’était trop tard pour moi. J’ai démissionné et je n’oublierai jamais les deux années d’enfer qui ont suivi. Je ne dormais plus et je savais que ce serait encore pire le lendemain. J’étais un géranium que l’on déplaçait de clinique psychiatrique en clinique psychiatrique. »
Rideau de lumière juste à temps
« En clinique, cela faisait longtemps que je n’étais plus acteur de ma vie mais j’en étais même plus spectateur. Je ne comprenais plus les images qui m’entouraient. Je suis arrivé à un point où j’ai songé à tirer la prise définitivement. J’avais pris mes dispositions pour ne pas manquer mon coup. » Touché, le colosse s’en est voulu de ne pas avoir mieux pu protéger les autres membres de son service plus tôt. Il avait coulé mais il n’était pas mort pour autant. « Un médecin m’a sauvé en ajustant mon traitement juste à temps. Le lendemain matin, j’ai vu la lumière passer entre les rideaux de ma chambre et c’était merveilleux car cela voulait dire que j’avais dormi suffisamment longtemps pour que le soleil soit déjà levé. » C’est ainsi qu’il a repris des forces mentales et physiques et qu’il a commencé à remonter à la surface. « Heureusement car je n’aurais pas tenu beaucoup plus longtemps. » Yvan Perrin a parlé (et nous le remercions). Mission terminée, je rentre au Courrier ! Cet article s’autodétruira dans quelques semaines, quelques mois ou quelques années. Tout dépend dans quelles mains il tombera.
Le plan de bataille élaboré chez Blocher
à écouter Yvan Perrin, tout ce qu’il aurait réussi dans sa vie serait fortuit. Son élection à la vice-présidence de l’UDC suisse en 2006 ? « Par défaut ! Les Valaisans ne voulaient pas du Fribourgeois Jean-François Rime, jugé trop mou. Et les Fribourgeois ne voulaient pas du Valaisan Oskar Freysinger, trop virulent pour eux. Mon élection ne doit rien à mon talent naturel, je faisais simplement consensus. Je n’étais pas spécialement intéressé par le poste. » Mais au final, cette promotion lui a permis de vivre sa plus palpitante année politique : les élections fédérales de 2007. « Nous avions planifié toute la campagne en une journée passée chez Christophe Blocher. Nous avions commencé à 9 heures et nous mangions des saucisses devant un magnifique panorama des Alpes à 17 h 30. » Tous les discours et les réactions politiques (en fonction du scénario du vote) avaient été calibrés à la date près et à l’heure près. Cette chirurgie politique avait débouché sur un gros succès pour l’UDC suisse (28.9% des voix). Yvan Perrin a également été déterminant dans la naissance de la section neuchâteloise de son parti, devenant son premier président (fondateur). « Encore un choix par défaut », insiste-t-il, comme s’il voulait éloigner au plus loin de lui toute cette lumière qui a fait son succès. « Je voulais devenir uniquement secrétaire de la section et on avait besoin d’un président, alors j’y suis allé », se justifie-t-il presque.
Né à Fleurier, Yvan Perrin a toujours vécu à La Côte-aux-Fées. Ses parents ont simplement déménagé
d’un côté à l’autre du village en 1967. Il habite toujours dans la maison familiale.
À la ville comme à la scène, Yvan Perrin a trouvé la zenitude.