Sur les traces des trésors cachés du Val−de−Travers
Type de mission : m’infiltrer dans les forêts du Vallon pour faire un état des lieux de leur gestion
Renseignements sur l’objectif : suivre un transporteur de bois permettra d’avoir une vision générale de la situation
Lieu et date : Buttes et toute la Suisse romande -Février à mars 2024
Observations du terrain : alors que les transporteurs de bois se font rares dans la région, le Val-de-Travers fait figure d’exception dans le canton avec pas moins de trois entreprises aux Verrières, à Môtiers et à Buttes
« Le Val-de-Ruz, les Montagnes neuchâteloises et le Littoral ont aujourd’hui un seul transporteur alors que le Vallon a la chance d’en compter encore trois. Moi ça me va très bien comme ça, je suis un fervent défenseur du Val-de-Travers. Il faut être solidaire et faire un maximum de choses sur place. C’est à nous, les jeunes, de montrer l’exemple », déroule Maël Jeannin. Le Vallonnier de 31 ans est un passionné de camion, de forêt et d’agriculture, il est donc assez logique de le retrouver derrière un 40 tonnes aujourd’hui. « C’est le poids maximal autorisé en Suisse, sans autorisation spéciale », détaille-t-il fièrement au moment de quitter son entrepôt basé à Buttes. Ce jour-là, il est 5 heures du matin et nous sommes partis pour une journée-marathon sur les routes.
50’000 kilomètres par année
Depuis qu’il est à son compte, Maël Jeannin ne calcule pas ses heures ni ses kilomètres. Il s’applique juste à respecter les lois qui encadrent son métier comme le fait de ne pas circuler le dimanche ainsi qu’entre 22 heures et 5 heures du matin. À une louche près, on peut dire qu’il effectue environ 50’000 bornes par année. « C’est essentiellement des petits trajets dans la région mais j’interviens aussi dans toute la Suisse romande. Plus je vais loin, plus je suis content de pouvoir prendre la route dès 5 heures pour éviter au maximum les gros embouteillages. » Avec 20 tonnes à vide et 40 tonnes à plein, il faut dire que son camion n’est pas des plus adaptés pour circuler sur certaines routes, comme celle qui relie Vuitebœuf à Sainte-Croix par exemple. « En plus, les grumes (troncs) peuvent dépasser jusqu’à 5 mètres à l’arrière de la remorque. Il faut constamment faire attention à ne rien toucher pour éviter l’accident. » Heureusement, le jeune homme de 31 ans peut compter sur un joker pour l’aider : un joystick qui permet de diriger la remorque chargée de bois en quelques mouvements. « C’est indispensable pour passer certains virages, sinon je ne passerais pas avec mon camion. »
Le camion de ses débuts
Cela fait six ans que Maël Jeannin est dans le métier dont la moitié pour son propre compte. Ses débuts sont révélateurs de la passion qui l’anime : « J’étais destiné à devenir transporteur de bois. Je voulais tellement avoir ma chance que je surveillais la moindre place de travail qui se libérait dans le coin. » Un jour, l’entreprise Thiébaud frères cherchait quelqu’un et Maël a été le premier à sauter sur le siège vide du camion. Trois ans plus tard, c’est avec ce même camion qu’il s’est lancé à son propre compte, reprenant l’entreprise de ses anciens patrons. « Je n’ai pas hésité, j’ai foncé tête baissée. » C’était en 2021, en pleine période Covid. Il fallait « avoir des grumes dans le pantalon » si vous me permettez l’expression. « Finalement, c’était un bon moment car il y a eu beaucoup de transports à faire. Les gens avaient du temps et beaucoup ont entrepris des travaux.
Les besoins en bois étaient donc conséquents. Il fait chaud hein ? » C’est épouvantable oui, mais quel est le rapport ? « Aucun, c’est juste pour vous dire que le chauffage ne s’arrête plus et que vous pouvez ouvrir la fenêtre. » Ce n’est pas de refus, tiens !
Une taxe pour chaque kilomètre parcouru
Dans son camion, Maël Jeannin circule essentiellement sur de petits trajets. Nous avons fait six transports ce jour-là entre La Tourne, Buttes et La Brévine. « Des trajets de 15 à 20 kilomètres sont parfaits, comme ça le travail reste dans la région. » Les grumes ont été réparties entre la scierie des Bayards (ou le bois est immédiatement valorisé sur place) et la gare des Verrières. Il s’agit du dernier point d’enwagonnement au Val-de-Travers et l’un des deux derniers dans le canton de Neuchâtel. Une partie du bois part ensuite en Suisse allemande par le rail. Par ailleurs, plus le trajet est court, moins la taxe sur les poids lourds sera élevée. « Depuis les années 2000, chaque camion est équipé d’un emotach (petit capteur semblable au compteur des taxis) qui enregistre chaque trajet que nous effectuons et avec quel poids chargé. Un transporteur paie ensuite une taxe pour chaque kilomètre parcouru en fonction de son tonnage. » Le tarif serait d’environ 1 franc par kilomètre avec 20 tonnes de bois. Le but est d’éviter au maximum les transports inutiles. Allez, ça chauffe par ici alors disons « Mission réussie ! » Je rentre au Courrier. Cet article s’autodétruira quand tu le décideras.
Pourquoi il y a deux numéros tagués sur chaque tronc à transporter ?
C’est une question moins bête qu’il n’y paraît (trop aimable, merci !). Ici (Maël Jeannin montre un tronc qu’il vient de charger sur son camion), on voit qu’il est marqué 10/55. C’est simple, le premier numéro renvoie à la longueur de la grume (10 mètres) et le second à son diamètre (55 centimètres). Une grume est un « tronc » de plus de 5 mètres. En dessous de cette taille, nous appelons cela des billons. Pour être complet, on peut aussi dire qu’une plaquette est apposée sur chaque grume. Celle-ci est importante pour le contrôle de la marchandise car elle correspond à une liste de cubage. Autrement dit, une check-list qui récapitule grume par grume le volume de la marchandise à transporter. C’est à moi qu’il convient de vérifier que j’ai tout chargé et que les bûcherons n’ont rien oublié dans la forêt.
Un camion à 600’000 francs et une histoire de bostryche
Maël Jeannin est comme un poisson dans l’eau ou un bûcheron en forêt lorsqu’il se place devant le volant de son camion. À tout moment, il lève le bras pour saluer une connaissance par ici et un autre routier par là. « Le signe entre les routiers est une tradition que je veille à toujours respecter. C’est important de faire perdurer ce genre de choses. » Bientôt, c’est avec un tout nouveau camion qu’il pourra saluer à tout va. « Je l’ai commandé et il devrait m’être livré dans un mois et demi. » Tarif de la bête : 600’000 francs. « Ce n’est pas le châssis-cabine qui pèse sur la facture mais l’équipement forestier (grue et équipement long-bois). Or, aucune entreprise ne fabrique ce type d’équipement sur les camions long-bois en Suisse et j’ai dû collaborer avec l’Allemagne. » La note est lourde pour un outil de travail dont la durée de vie est de dix années environ. Mais une chose est sûre : le travail ne va pas manquer ces prochaines années au Val-de-Travers. « On pourrait presque dire malheureusement car la situation est assez inquiétante en termes de dégâts aux arbres. Les étés toujours plus secs et surtout la prolifération du bostryche font des ravages. Spécialement sur les épicéas qui ne sont pas adaptés à ce genre de climat chaud. » Par conséquent, il y a beaucoup de bois sec sur le marché et pas assez de demande pour ce bois de service qui part souvent pour l’industrie.