Sur les traces des trésors cachés du Val−de−Travers
Type de mission : plonger dans l’univers sombre des enfants placés
Renseignements sur l’objectif : mise en lumière de «l’enfance sans cadeau» donnée à Michel Cattin
Localisation de l’objectif et date : Noiraigue – décembre 2023
Observations du terrain : enfant battu et harcelé sexuellement, devenu orphelin bien que ses deux parents étaient encore en vie
« Mon père me l’a suffisamment répété pour que je finisse par le croire. Je ne valais rien et ma parole ne valait rien dans le monde des adultes », plante Michel Cattin. Que vaut la parole d’un vaurien ? Celle d’un enfant que l’on cherche frénétiquement à placer pendant qu’il continue peu à peu à s’égarer faute d’écoute et de soutien ? « Comment petit, tu dis que tu es battu, que tu es harcelé sexuellement et que des filles sont victimes d’attouchements à la pension ? Tais-toi maintenant et file voir le psychiatre ! » Monsieur le psychiatre quel est votre verdict ? « Débile profond, cet enfant difficile est un débile profond qui cherche à attirer la pitié. » Vraiment ? « Pas du tout, être turbulent était simplement ma façon de demander de l’aide. C’était une manière de crier ma peine mais personne ne l’a entendue. »
«La parole d’un enfant ne valait rien»
Son histoire, Michel Cattin l’a racontée dans un livre intitulé « L’enfance, socle de toute une existence ». « J’utilise volontairement le sens large de l’enfance car le but n’est pas de mettre en avant ma petite histoire personnelle mais de soulever de grands sujets sociétaux. Je souhaitais mettre en évidence la problématique nationale du traitement accordé aux enfants placés en Suisse. » Son histoire fait écho au statut de l’enfant dans les années 1950 et 1960. « Heureusement, les jeunes sont bien mieux protégés aujourd’hui même si tout n’est de loin pas encore parfait. À l’époque, un enfant difficile était vu comme un problème tandis que maintenant, nous avons tendance à chercher quelles sont les causes derrière ce problème de comportement. » En ce sens, le lexique institutionnel est révélateur de cette évolution : « En tant qu’enfant placé, je dépendais de l’Office cantonal des mineurs du canton de Neuchâtel. Aujourd’hui, on parle de l’Office de la protection des mineurs. Autant dire qu’à l’époque, la parole d’un enfant ne valait rien ! » Michel Cattin en a fait l’amère expérience
«Oui, mon père me battait mais je ne veux pas trop le charger…»
Originaire des Bois, Michel a passé son enfance entre Peseux et Noiraigue où habitaient son oncle et sa grand-maman. C’est le divorce de ses parents qui a véritablement déclenché son destin.
« La garde a été exclusivement donnée à mon père, ce qui ne se faisait presque jamais il y a 70 ans. Et comme ça n’allait pas bien avec lui, je suis allé habiter un moment à Noiraigue. » Étiez-vous en accord avec ce choix ? « Disons que je n’avais pas… le choix car cela se passait très mal avec mon père. » Pouvez-vous être plus précis ? « Il avait des problèmes d’alcool. » Et avec quelles conséquences pour vous ?
« Les voisins devaient régulièrement intervenir. » Pourquoi devaient-ils intervenir ? « Il était violent parfois. » Vous voulez dire qu’il vous battait ? « Oui voilà, il me battait. » Pardon, mais vous avez encore un peu de mal à le dire aujourd’hui, non ? « C’est vrai ! Mais vous voyez, cela reste mon papa. Ce n’est pas n’importe qui pour moi et je ne veux pas trop le charger. » La voix tiraillée, l’homme de 73 ans énumère péniblement certaines scènes de son enfance comme les violences entre ses parents et les repas qu’il devait souvent se préparer seul quand il n’en était tout simplement pas privé.
Passage d’un enfer à un autre!
L’Office de la protection de l’enfance a cherché à placer le garçon mais il n’a jamais trouvé sa place. Résultat : il a connu six familles d’accueil en trois ans. « Cela ne fonctionnait pas, j’étais un enfant intenable et je ne comprenais pas le monde des adultes. Ce qui ne faisait qu’amplifier ma révolte. » Vers ses 14 ans, il est alors placé en institution mixte dans une pension de la côte vaudoise. « Loin des violences de mon père, et de ses exigences élevées auxquelles je ne savais pas répondre, j’ai enfin pu souffler un petit peu. » Un peu, mais pas longtemps malheureusement.
Michel Cattin était en réalité simplement passé d’un enfer à un autre. « J’y ai été victime de harcèlement sexuel de la part d’un employé de maison. Heureusement, j’ai eu un réflexe de survie et cela n’est pas allé très loin. » Tous ses camarades n’ont pas eu le même réflexe salvateur. « Quelques semaines plus tard, deux filles m’ont avoué qu’elles étaient victimes d’attouchements de la part du directeur. Armé de mon inconscience, j’ai déboulé dans son bureau pour lui demander des comptes. Il a tout nié en bloc et les filles se sont rétractées quelques jours plus tard. » Finalement, une plainte a été déposée en 1967 et une enquête avait été ouverte. Le directeur n’a pas été inquiété mais il a démissionné quelque temps plus tard. « Tout était dit ! Ils avaient glissé le problème sous le tapis. » Comme quoi, la parole d’un « vaurien » vaut parfois plus que celle d’un directeur… Allez, mission réussie, je rentre au Courrier ! Cet article s’autodétruira quand tu le décideras.
Gueule cassée N°2 : la maison coupée en deux par l’église !
Au numéro 7 de la rue de l’Hôpital de Fleurier, vous avez peut-être déjà vu cette maison qui défie les lois de la symétrie. Lorsque vous la regardez de face, vous avez l’impression qu’elle a été coupée en deux en son exacte moitié et que la partie de gauche a disparu, comme gommée du paysage. Aussi irréel soit-il, c’est exactement ce qui s’est passé en 1971. Cette maison était séparée en deux parties distinctes depuis de nombreuses années. Deux propriétaires différents avaient donc la responsabilité de la moitié gauche et de la moitié droite. À gauche, on y trouvait l’hôtel de l’Étoile qui fut fermé en 1951. Une société coopérative ainsi que le Centre espagnol ont ensuite occupé les lieux. Un locataire était également installé au premier étage. Mais la construction de la nouvelle église catholique du village a entraîné la démolition de la moitié gauche du bâtiment en 1971.
La moitié droite est en vente pour 1 million de francs !
Ce n’est pas l’église en elle-même qui a imposé cette disparition mais les bâtiments annexes, situés plus à l’Ouest. Ceux-ci comprennent notamment le presbytère et le secrétariat. Ce centre paroissial couvre une superficie de 950 mètres carrés. Une commission financière mise sur pied par la paroisse a acheté le terrain dans les années 1960. Les travaux ont débuté le 4 septembre 1971 et l’inauguration a eu lieu en novembre 1972. La maison de la rue de l’Hôpital 7 ayant été « éventrée par le cœur », un mur a été construit sur la façade Est (direction Neuchâtel) pour refermer la plaie et permettre à la partie droite de la maison de rester au sec. Ce qui explique l’absence de fenêtres de ce côté-ci. Celle-ci a été la propriété de Borel-Mermod et du fameux « Bazar Mermod ». Un magasin de mode, tenu par Monsieur Biselli, y a ensuite pris place. Aujourd’hui, le « demi-immeuble » est en vente pour plus d’un million de francs. Il comporte quatre appartements dont trois ont été rénovés et loués. Un barbier/coiffeur occupe un local commercial au rez-de-chaussée. Question de circonstance : la maison fait-elle moitié-prix ? Allez, mission réussie, je rentre au Courrier ! Cet article s’autodétruira quand tu le décideras…
La Question à ne pas poser
Avez-vous pardonné à vos parents ? C’est une très bonne question. Mon papa ne m’a jamais pardonné d’avoir levé la main sur lui en tout cas. Je peux le comprendre. Lorsque j’avais 17 ans, je suis revenu vivre à Neuchâtel au sein de la Maison des jeunes. Je suivais alors une formation à l’école supérieure de commerce. Il est venu me voir et il a une nouvelle fois essayé de me frapper. Mais j’avais décidé qu’il ne me toucherait plus jamais et l’histoire s’est inversée. C’est moi qui l’ai cogné ! Je lui ai mis un seul coup mais cela a suffi à le mettre à terre. Je n’en suis vraiment pas fier mais il ne m’a plus jamais tapé ensuite. Et vous alors, lui avez-vous pardonné ses violences ? Cela a pris du temps mais oui, j’ai pardonné à mon père ainsi qu’à ma mère.
La «bombe atomique» qui a tout révolutionné!
On le voit à travers l’histoire de Michel Cattin. L’enfant, et qui plus est un enfant placé, était bien souvent laissé à lui-même. « Je parle au nom de tous les enfants placés de l’époque. Ce ne sont pas les coups qui ont fait le plus mal mais le fait de ne pas avoir été écoutés et entendus. » En 2018, la Confédération a officiellement reconnu sa responsabilité vis-à-vis des dérives vécues par les jeunes enfants placés. « C’est un signal positif même si cela a brisé bien des vies et que rien ne les remplacera. » Michel Cattin s’est reconstruit, ou plutôt construit, petit à petit. « La naissance de ma fille a été l’élément déclencheur. Cela a eu l’effet d’une bombe atomique ! Le vaurien que j’étais pouvait faire des bêtises puisqu’il n’avait rien à perdre. Mais à partir de ce moment-là, j’avais enfin construit quelque chose. » Et il avait quelque chose à perdre. Après une formation de vendeur, Michel s’est épanoui professionnellement au sein de La Poste. En 33 ans de carrière, il est passé de facteur à chef d’équipe pour terminer son parcours en tant que… formateur pour adultes. Pas mal pour un « vaurien » ! Il a également renoué quelques contacts avec sa maman mais sans réel approfondissement. « Elle me demandait de la prévenir avant d’aller la voir. J’ai trouvé ça blessant de la part d’une mère. »