Dans les murs du Buttes d’autrefois
Que sait-on de lʼhistoire dʼun village et que reste-t-il d’une époque lorsquʼelle est passée ? Quʼadvient-il finalement des souvenirs une fois que tous les témoins de cette époque ont disparu ? Rien, si ce nʼest ce qui a été bâti. Eh oui, les murs parlent dit-on. Eh comme les mortels ont des oreilles à l’écoute de ces choses-là, il est possible de retracer la vie et l’évolution d’un village en observant son patrimoine immobilier. Scrutons un peu celui de Buttes pour y entendre ses murmures.
Le premier document daté faisant référence à Buttes – alors appelé Boutes – remonte à 1342. Il s’agit d’un vieil acte de vente d’un moulin. Au milieu du 14e siècle, il n’y avait pas plus de 32 habitants de dix familles différentes selon les historiens. Juvet, Dubois, Lebet, Grandjean, Leuba et Thiébaud sont les noms historiques du village. Au 15e siècle, la majorité de la population vit de l’élevage et on y pratique une agriculture de subsistance. Au 16e, la prospérité déferle sur le Vallon qui constitue l’une des principales routes de commerce entre la Suisse et la France. C’est sans doute à cette période que les grandes maisons de pierre typiques du village ont été construites. En 1604, il y avait 79 maisons à Buttes pour une population avoisinant les 630 individus. L’Assemblée de Commune, qui réunit tous les chefs de familles originaires du lieu, décide alors de tout ce qui a trait à la vie en communauté.
La maison : bien familial et marqueur social
À la fin du 17e et au début du 18e siècle, l’accroissement de la population (642 en 1758, 922 en 1810 et 1436 en 1870) couplée à l’appauvrissement des terres agricoles poussent les habitants vers l’artisanat. La dentelle, la production de chapeaux ou encore l’horlogerie ont le vent en poupe. Comme on s’éclairait à la bougie et que les moyens pour combattre le feu étaient quasi-inexistants, les incendies étaient fréquents. Un système de guet a bien été instauré dans les années 1790 mais ce n’est qu’en 1850 qu’une assurance incendie est devenue obligatoire. Avant cette date, aucun dédommagement n’était prévu pour aider les villageois à reconstruire leurs habitations. Et comme les maisons étaient l’un des biens principaux que les personnes âgées cédaient aux générations suivantes, c’était une grande préoccupation à cette époque.
Le dernier gros incendie à Buttes a été connu le 29 août 1864. Vingt-sept habitations, situées sur la rue principale, n’y ont pas réchappé. Au fil des reconstructions et des besoins évolutifs dans le temps, les maisons se sont avérées être de magnifiques marques de l’histoire. Ainsi, il y avait beaucoup plus d’enfants par famille à l’époque et chaque pièce avait une utilité plus marquée qu’aujourd’hui. Il y avait donc beaucoup de petites pièces. Ce qui n’empêchait pas certaines fratries de dormir à 3 ou 4 par lit parfois. Aujourd’hui, le taux de natalité a chuté et la majorité des habitations accueillent moins de quatre membres. à l’intérieur des bâtisses les murs sont dont progressivement tombés. Bien que moins nombreux, les « humains modernes » ont besoin de plus grands espaces pour se sentir bien. Et au cœur d’un même village, chaque quartier avait une identité propre, souvent liée à son activité et à son utilité pour la communauté.
Auberges de passage et établis sous les toits
Penchons-nous plus spécifiquement sur la Vy-Saulnier de Buttes et son fameux numéro 7 où réside notamment aujourd’hui Elsbeth Reber.
Nous sommes du côté historiquement rural où les habitations ont plus souvent passé d’une main à l’autre que le reste du village. Ici, cette maison a été bâtie en 1831 à la suite de l’incendie de celle de la famille Reuge qui était un peu plus loin de la route. Cette famille d’horlogers a créé un grand atelier au deuxième étage pour pouvoir continuer son travail. Il n’y avait pas d’usines d’horlogerie à cette époque, chacun avait son atelier sous les combles pour avoir un maximum de luminosité.
On repère aujourd’hui ces vieilles bâtisses grâce à leurs fenêtres typiques. En général, il s’agit d’une rangée d’embrasures – certaines ont parfois été murées – avec la partie du bas vitrée qui est fixe et la partie du haut qui s’ouvre en deux battants. L’établi étant généralement collé aux fenêtres, cela avait l’avantage de pouvoir aérer sans avoir à le bouger.
Ensuite, la Vy-Saulnier 7 a laissé place à l’hôtel des Trois Suisses.
Il serait plus juste de parler d’auberge car les gens de passage s’arrêtaient pour changer et reposer leurs chevaux avant de reprendre la route le lendemain.
La route principale était celle qui passe aujourd’hui par le home Clairval car la route cantonale actuelle n’existait pas.
Les diligences servaient de transports publics et grimpaient vers La Côte-aux-Fées et Sainte-Croix.
Cette auberge a été exploitée jusqu’en 1926, année durant laquelle les diligences ont été remplacées par des autobus. Le dernier représentant des Reuge à avoir vécu dans cette maison est mort dans les années 1970. C’était le dernier cordonnier de Buttes et il avait son local non loin de là, au numéro dix de la même rue. Cet endroit fut aussi la toute première poste du village. Le mari d’Elsbeth Reber a racheté l’immeuble de la Vy-Saulnier 7 en 1979-1980. Et avec lui, ses murs aux reflets merveilleusement historiques.
Kevin Vaucher