Au régime sans sel !
Ouvert en août 1994, le Musée du Sel de Buttes (la Mémoire du Sel) est fermé depuis bientôt deux ans. La faute à un certain virus que vous connaissez tous. Le musée s’étend au rez-de-chaussée et sur une partie de l’étage de la maison de la ruelle de la Consommation 1. Afin d’y maximiser l’espace, le parcours autour du thème du sel prend la forme d’un « serpentin ». C’est idéal pour être au plus près des différentes installations et maquettes proposées mais c’est beaucoup moins « pandémie-compatible ». Voilà ce qui a poussé le comité au régime sans sel. Le Courrier n’a aucun problème d’hypertension et vous emmène donc avec lui pour une visite au goût salé.
Lorsque je pousse la porte du musée de la ruelle de la Consommation, c’est Charles Henri Lambelet (initiateur du projet) et Serge Gumy (président) qui me reçoivent. Tient, encore eux ! Le duo d’anciens postiers a encore frappé. Souvenez-vous, la série de tableaux affichés sur les murs de différentes bâtisses butteranes, c’était déjà eux ! Fraîchement honoré d’une 89e année sur son journal de vie, le premier nommé n’a rien perdu de sa ténacité :
Nous étions une dizaine dans le comité du musée mais les membres se font vieillissants et il rétrécit année après année. Mais nous, on ne lâche pas.
Prévoyant, l’homme qui habite une partie du 1er étage de la maison a néanmoins assuré les arrières de son antre dédié à l’histoire du sel.
Le musée ne court aucun risque de disparition puisque le comité a inscrit une servitude au registre foncier. Celle-ci oblige le ou les futur(s) propriétaire(s) à le conserver jusqu’en 2094.
De quoi voir venir !
Aldo Moro, cheville ouvrière du musée
Une fois cette bonne nouvelle entendue, nous passons à la visite du musée avec une première mise en garde de Serge Gumy :
Ne faites pas attention, on devra un peu dépoussiérer avant de rouvrir, ça fait un moment que plus personne n’est venu dans ces lieux.
Aucun souci pour la première maquette qui s’offre à nous puisqu’elle est protégée par une protection transparente.
Son concepteur est Aldo Moro. C’est lui qui a réalisé la plupart des maquettes qui jalonnent le parcours du musée. Celle-ci a la particularité d’avoir été faite sans le moindre clou, tout est chevillé. Ça lui a pris tout un hiver pour en venir à bout. Cela représente un bâtiment de graduation. L’eau tombait par le haut, ruisselait à travers des fagots d’épines noires et se retrouvait en bas avec une teneur en sel plus élevée. Il n’y avait alors plus qu’à la faire évaporer pour récupérer le sel.
Une technique utilisée dans toute l’Europe à l’époque. Il en existe encore aujourd’hui, notamment en Allemagne.
Une passion du sel qui vient… de la maçonnerie
La construction miniature présentée au Musée du Sel est celle d’Arc-et-Senans (France) qui faisait près de 500 mètres de long. à côté, on entre dans un recoin voûté dédié aux salines de Bex. Un petit train électrique apporte un peu de mouvement à la scénographie qui retrace cinq siècles d’histoire. La visite se poursuit et on tombe à chaque pas sur un nouveau pan de cette histoire salée. D’où vient cette passion pour le sel ?
De la maçonnerie,
me répond Charles Henri Lambelet. Pardon ?
J’aimais particulièrement la maçonnerie plus jeune et lorsque l’opportunité de transformer une partie de ma maison en musée s’est présentée, j’ai sauté sur l’occasion. Il fallait monter des murs pour créer des coursives et il fallait aussi créer différents petits endroits pour que les visiteurs puissent passer d’une histoire à l’autre au fil de leur avancée.
Il n’y a pas de hasard, il n’y a que des rendez-vous, disait Paul Éluard. Le Butteran n’a pas manqué celui que lui avait donné le sel et il a appris à l’apprécier avec le temps.
Je me suis finalement tellement investi dans ce musée que j’ai parfois un peu sacrifié ma vie de famille.
L’origine des produits JuraSel
Tout est parti d’une fête du sel à Buttes. Des salières de grande valeur avaient été exposées dans sa maison de la ruelle de la Consommation.
Hélas disparu aujourd’hui, l’historien François Matthey m’avait alors dit en plaisantant que l’espace y est tellement grand, qu’on pourrait y construire un musée. Et je l’ai pris aux mots.
Depuis bientôt trente ans, l’espace ainsi créé accueille régulièrement de nouveaux éléments et le musée s’enrichit constamment.
Par exemple ici, on explique le fonctionnement des salines du Rhin à Bâle,
enchaînent les deux hommes.
Ça fonctionne avec un système de pompage à trois tuyaux. Ils envoient d’abord de l’eau douce puis du gaz pour apporter de la pression. De l’eau salée est ainsi remontée. C’est de là que provient les produits JuraSel qu’on trouve dans les commerces.
Le sel de mer a aussi droit à sa mise en lumière un peu plus loin dans le parcours via une maquette sur les marais salants. Ce système permet de produire du sel avec de l’eau de mer. On en trouve pas mal en Bretagne notamment. Le marais est formé de plusieurs parties dans le but de concentrer progressivement la teneur en sel.
Tout se termine dans l’ancien congélateur collectif
D’ailleurs, savez-vous pourquoi on a du sel,
me questionnent-ils ? Cela n’aurait-il pas un rapport avec la mer justement ?
Et oui, la mer recouvrait une partie de l’Europe dans le passé et elle a laissé d’importants dépôts de sel lorsqu’elle s’est retirée. Il y a des couches de sel variant de 70 à 110 mètres d’épaisseur, c’est pourquoi on a rapidement exploité des mines de sel. Cela peut s’étaler sur 300 kilomètres de long en Lorraine par exemple. C’est une ressource inépuisable.
Comme le musée, qui n’est jamais à court de surprises. À l’étage, une partie de la littérature sur le sel y est regroupée. De quoi tomber sur un manuscrit de 1356 en peau de veau ou une affiche sur l’abolition avortée de l’impôt sur le sel en 1849 en France. Impôt finalement maintenu jusqu’en 1945 pour le bien des caisses de l’état. La visite se termine dans la « salle des pas perdus ».
Je l’appelle comme ça car on peut y tourner en rond des heures,
dégaine Charles Henri Lambelet.
Avant, c’était un congélateur collectif privé avec 900 cases pour les gens du village. Les paysans venaient aussi y déposer leurs quartiers de vaches.
Avec ou sans sel, le régime à cette période ?
Kevin Vaucher