ARTisans du succès 3 / 5
L’art et la matière
L’édition 2021 de Môtiers Art en plein air s’étend du 20 juin au 20 septembre. La cinquantaine d’œuvres exposées sont issues de l’imaginaire des artistes. Mais leur réalisation et leur mise en valeur demandent un savoir-faire que seuls des professionnels peuvent assumer. Une bonne dizaine d’artisans ont été sollicités et se sont engagés auprès des artistes cette année encore. Nous vous les présentons dans cette série spéciale. Ce troisième volet s’attarde sur ceux qui protègent et transforment la forêt.
Pour savoir ce qui tient vraiment à cœur à quelqu’un, il suffit d’attendre que la nuit tombe et que la fatigue s’installe. à ce moment-là, lancez votre interlocuteur sur différents sujets et celui qui le maintiendra éveillé sera à tous les coups sa passion première. Dans ce cas précis, je n’ai pas poussé l’expérience jusqu’à rencontrer Claude-André Montandon et Olivier Favre mais je suis sûr de mon coup. Ces deux-là pourraient parler bois et forêt toute la nuit ! Ça tombe bien puisque le premier nommé est garde forestier et chef du service forestier de la commune de Val-de-Travers. Il est à la tête d’une petite équipe installée à Couvet. Parmi ses hommes, quatre éléments ont participé activement à l’aventure Art en plein air cette année.
Son et lumière en pleine forêt… faut voir !
Le contremaître Pierre-Alexis Pochon, Michaël Hämmerli, Ryan Schneider et Brian Lucarella ont ainsi accompagné Claude-André Montandon qui intervenait pour la cinquième fois sur cet événement.
Je suis arrivé au Val-de-Travers en 1997 et on m’a sollicité dès l’édition de 2003 pour fournir du bois et d’autres prestations. On m’a aussi rapidement demandé ce qu’il était possible de faire ou non en forêt, notamment dans l’installation des œuvres. Le comité a toujours été sensible au fait de respecter la nature. Cela concerne par exemple les créations nécessitant de l’électricité pour faire du son ou de la lumière. Ce n’est pas toujours forcément compatible avec la faune et le milieu forestier. Certains artistes ont parfois aussi besoin d’arbres pour suspendre quelque chose ou l’intégrer dans leur projet. De fait, on est donc sollicités et intégrés dans le processus.
Le garde forestier participe d’ailleurs au repérage des lieux avec les artistes une année avant l’exposition. Il en profite pour encadrer les futures réalisations.
Cette fois, c’est l’idée d’Olivier Estoppey et son rhinocéros attaché à un arbre qui a suscité le plus d’interrogations. Quel poids maximal autorisé ? Les lanières utilisées sont-elles sans risque pour le tronc ? Les machines permettant de hisser les accroches à quinze mètres de haut ont-elles accès facilement au lieu choisi par l’artiste ? Et ainsi de suite ! Ensuite, le service forestier est évidemment sollicité pour participer aux différentes mises en place des œuvres touchant au patrimoine boisé. On est toujours très content de faire quelque chose d’un peu différent et le contremaître Pierre-Alexis Pochon s’investit toujours particulièrement.
L’équipe doit également répondre aux différentes demandes en bois des créateurs.
On procède très simplement en établissant une liste précise de leurs besoins puis en passant commande à la scierie des Bayards. Chaque commande est ensuite distribuée sur le terrain par nos soins.
Une quinzaine de commandes sont faites par édition.
Très occupé mais toujours prêt à aider
Le second homme sans doute prêt à prolonger son tour de garde pour évoquer le bois durant des heures est donc Olivier Favre. Il intervient dans le processus de transformation par le biais de sa menuiserie-ébénisterie installée au Vallon depuis 2001. S’il avoue avoir travaillé quelques années en Suisse alémanique pour se perfectionner, ce Fleurisan pure souche de 47 ans est très attaché à tout ce qui est bien fait et peu commun.
On est cinq dans l’entreprise et on a pour principe de faire tout ce qui est hors catalogue. Les gens trouvent des cuisines, des portes, des fenêtres et ce genre de choses auprès de plusieurs grands constructeurs européens. Nous on fait ce qu’ils ne font pas.
Leur spécialité est d’intervenir sur tout ce qui est monument historique classé et protégé ainsi que sur les produits sur mesure comme des établis d’horloger. Leur dernier coup ? L’obtention du mandat de réfection pour le château de Gorgier.
Avec ça, on a du job assuré pour plusieurs années,
rigole ce titulaire d’un brevet et d’une maîtrise. Autrement dit un crack !
Et Môtiers Art en plein air là-dedans ?
Cette exposition est aussi quelque chose de rare. C’est mon ami et voisin Thierry Bezzola (membre du comité) qui vient me trouver quand il a besoin de choses qui sortent de l’ordinaire. Il sait que j’ai toujours beaucoup à faire mais que je le fais très volontiers pour ce que représente cette manifestation pour la région. C’est toujours avec plaisir que je donne un coup de main si nécessaire sur le Vallon.
En l’occurrence c’est le créateur Grégory Sugnaux qui en a bénéficié pour son « saloon » intitulé « La More ». Une grosse septantaine d’heures d’investissement au total.
Tout a été fait avec du bois régional, c’est une grande fierté de le dire et c’est quelque chose auquel je tiens beaucoup. Malheureusement, on préfère souvent faire venir du bois d’Europe de l’Est en Suisse car il coûte un peu moins cher. C’est un non-sens total, d’autant plus que l’heure est à l’écologie soi-disant. Mais c’est un autre sujet.
Ne vous avais-je pas dit qu’il pourrait en parler des heures ?
Déchets de bois utilisés en chauffage
Ce cycliste émérite, lorsque son activité le lui permet, est un homme d’action qui aime les choses bien faites, la logique et les convictions. Pas étonnant donc que le rendu de son saloon soit parfait et qu’il ne reste aucun déchet des trois mètres cubes d’épicéa utilisés.
Il faut bien comprendre qu’il y a le volume brut d’un arbre et ce qu’il en reste une fois qu’il a été traité. Il y a une perte d’au moins cinquante pour cent au cours de la transformation du bois. Personnellement, je ne peux pas me résoudre à jeter la moitié d’un arbre alors je valorise ces déchets en chauffage à distance. Cela permet de chauffer deux à trois bâtiments voisins et c’est autant de mazout de chauffage qui n’est pas brûlé. Donc en résumé, du bois régional traité sur place et qui chauffe une partie de Fleurier, peut-on faire mieux comme circuit court,
s’interroge-t-il amusé. C’est parlant en tout cas !
Kevin Vaucher