ARTisans du succès 5 / 5
Les dépositaires
L’édition 2021 de Môtiers Art en plein air s’étend du 20 juin au 20 septembre. La cinquantaine d’œuvres exposées sont issues de l’imaginaire des artistes. Mais leur réalisation et leur mise en valeur demandent un savoir-faire que seuls des professionnels peuvent assumer. Une bonne dizaine d’artisans ont été sollicités et se sont engagés cette année encore. Nous vous les présentons dans cette série spéciale. Cet ultime numéro – à moins que Le Courrier vous réserve une surprise la semaine prochaine ? – se penche sur deux « héritiers » au tour de main sûr et traditionnel.
Un artisan a différentes façons de créer. Il peut innover en proposant une façon de faire nouvelle ou il peut s’appuyer sur un savoir-faire standard. À côté de ça, il peut aussi acquérir un savoir-faire particulier en s’inscrivant dans la lignée d’une tradition plus ou moins longue. C’est le cas de Yannick Bielser et de Cédric Thiébaud. Le premier l’a fait via l’entreprise familiale.
La menuiserie Max Etienne a été fondée en 1943 par mon arrière-grand-père du même nom. Il la ensuite transmise à son fils Bernard qui la lui-même fait suivre à son fils Patrick. Patrick est mon oncle et il a pris sa retraite donc cela fait environ quatre ans que j’ai plus de responsabilités dans l’entreprise. Je suis la quatrième génération.
La filiation n’est pas la même pour Cédric Thiébaud mais la logique est similaire.
La fonderie de Monsieur Charles Leuba a été créée dans les années 1920. Elle est ensuite passée dans les mains de Monsieur Jeannet puis dans celles de Monsieur Brasseur. J’ai fait mon apprentissage chez lui et j’ai pris le relais en 2010.
Des visites à l’improviste !
Chez la menuiserie Max Etienne à Môtiers, le travail ne manque pas et permet d’employer dix personnes actuellement (soit deux à trois de plus qu’il y a un an).
On s’attendait à une diminution avec le Covid mais les gens se sont apparemment retranchés sur des travaux qu’ils reportaient en temps normal. En parallèle, on intervient pas mal dans le domaine public comme à l’espaceVal de Couvet ou dans les collèges. Et de ce côté-là aussi, ils ont profité de cette période pour avancer des projets de rénovation,
décrypte Yannick Bielser. L’homme de 36 ans n’a pourtant pas hésité à ajouter Môtiers Art en plein air à son cahier des charges fourni cette année.
Depuis la première édition en 1985, l’entreprise donne volontiers des coups de main et je souhaitais continuer dans cette voie. Je trouve que les personnes du comité de l’expo ont beaucoup de mérite de faire ce qu’elles font pour le village. Ça leur demande un travail de dingue et pour moi c’était logique d’être derrière eux pour aider autant que possible.
Le père de famille de 36 ans a ainsi appris à apprécier l’organisation souvent très personnelle (ou aléatoire !?) des artistes.
Ah oui, ils sont venus un peu à l’improviste et comme ils ne restent pas très longtemps sur place, il faut qu’on soit disponible et réactif pour pouvoir intervenir presque dans l’immédiat. Pas toujours facile avec nos autres obligations mais on s’est arrangé pour répondre à leurs demandes le plus vite possible.
Des explosifs d’un côté, 1200 degrés de l’autre
Yannick Bielser et ses hommes ont été impliqués sur une quinzaine d’œuvres.
Cela va de la petite bricole réglée en une heure à la plus grosse qui va durer une vingtaine d’heures. Des fois on se demande où ils vont chercher toutes ces idées et je crois que je me rappellerai encore longtemps de celle de Roman Signer cette année. Quatre tonneaux sur quatre tremplins positionnés de telle manière qu’ils devaient se percuter à la suite d’une explosion simultanée. Lors du grand jour, trois tonneaux n’ont pas bougé. L’expérience a été répétée avec succès deux semaines plus tard, non sans avoir changé le préposé aux explosifs,
se souvient-il sourire aux lèvres. Il n’y a pas d’explosif dans la fonderie de Cédric Thiébaud mais la température peut monter considérablement lorsque le four est allumé.
Les pièces sont coulées à 1200 degrés. Avant, on utilisait le four à mazout mais on procède avec un four à gaz aujourd’hui. Avec mes deux employés, on fait des pièces pour des sculpteurs privés et pour des marbriers. On fait aussi des lettres pour des pierres tombales, des jalons pour les cimetières, des plaques et des numéros de rues. Bref, on est assez varié dans ce qui est bronze, aluminium et laiton.
Des entreprises et des communes de toute la Suisse romande passent commandes à la fonderie Leuba de Couvet. Un nom qui a perduré malgré les changements de propriétaires successifs.
Il y a une continuité et les clients ne se perdent pas quand elle change de mains. Moi j’y travaille depuis 1985 donc je ne suis pas dépaysé non plus,
plaisante-t-il.
2 h 30 de travail par pièce
Du coup, l’exposition lui permet de sortir de l’ordinaire le temps d’un instant et
c’est bien agréable,
reconnaît-il. Surtout que les artistes sont beaucoup moins nombreux à solliciter le travail du fondeur que celui du menuisier par exemple.
Cela doit être la première fois que j’aide directement une créatrice. Rebecca Sauvin désirait des pièces en bronze alors ça tombait bien.
Avant cela, elle a versé de la cire chaude dans l’eau vauclusienne de la Sourde, ce qui lui a permis d’en tirer des formes uniques à chaque coulée.
Elle est d’abord venue avec dix formes avant de revenir avec dix autres pièces pour donner plus de profondeur à son œuvre. De notre côté, le processus a été identique à chaque fois. On a d’abord monté les formes (coulage dans du plâtre) pour épouser les contours et on a ensuite fondu le bronze pour pouvoir le couler dans le plâtre. Finalement, on a poncé chaque pièce de bronze puis on les a soudées sur les tiges et on les a posées sur place avec le marbrier Terziani de Couvet. Et si j’ai pu être un peu sceptique sur le résultat global final, je l’ai trouvé vraiment joli et original.
Après 2 h 30 de boulot sur chaque pièce, l’esprit de l’eau a donc pu être saisi pour la première fois grâce à Cédric et à sa petite équipe.
Kevin Vaucher