ARTisans du succès 2 / 4
L’art et la matière
L’édition 2021 de Môtiers Art en plein air s’étend du 20 juin au 20 septembre. La cinquantaine d’œuvres exposées sont issues de l’imaginaire des artistes. Mais leur réalisation et leur mise en valeur demandent un savoir-faire que seuls des professionnels peuvent assumer. Ainsi, une bonne dizaine d’artisans ont été sollicités et se sont engagés auprès des artistes cette année encore. Nous vous les présentons dans cette série spéciale. Place à des hommes de terrain et de matières dans ce deuxième volet.
Passion, engagement et conviction, voilà trois caractéristiques partagées par nos protagonistes du jour. Il y a d’abord Alain Vaucher, l’homme de l’ombre comme il se nomme lui-même. Discret malgré sa grande taille, son importance dans l’intendance et d’autres multiples tâches le rendent pourtant indispensable à une exposition en plein air comme celle-ci. Il y a ensuite Franco Bagatella, l’homme d’acier. Avec son jeune complice Gaëtan Tinguely, ils sont capables de tout faire avec de simples bouts de métaux. Finalement, il y a Olivier Sidler, l’homme du bois. Précis et acharné, il a effectué un travail sur bois incroyable. Mais ne l’appelez pas l’ébéniste, il n’ose pas se présenter comme tel malgré qu’il sache à peu près tout faire avec un morceau de bois. Amenez-lui un tronc, il vous en fera un insecte criant de vérité !
Un homme de l’ombre qui fait briller
C’est simple, Alain Vaucher s’occupe de tout ce qu’il faut là où il faut !
Cela va de l’aide aux artistes, à leur transport jusqu’à Môtiers durant le montage des œuvres en passant par la gestion du secteur « caisse » et d’autres actions de ce type. Il faut que je sois disponible pour intervenir rapidement, voilà le plus important.
Disponible, il l’est puisqu’il habite Môtiers. Cela lui permet de faire des rondes de « contrôle » des installations chaque jour. Et il constate avec regrets des détériorations assez fréquentes (trop fréquentes) en ce début d’édition 2021.
Il n’y a pas de doute sur l’intentionnalité de ces actes. Lorsqu’on dépose une poubelle dans le périmètre d’une œuvre ou qu’on casse des mains à des mannequins, difficile de plaider l’accident. Surtout en pleine nuit. C’est dommage mais très minoritaire heureusement.
Les rapaces nocturnes se reconnaîtront peut-être. Et s’ils veulent mieux comprendre les œuvres, ils peuvent toujours scanner le QR Code du flyer officiel. Ils auront ainsi des explications sur chacune d’entre elles directement sur leur smartphone.
Sinon, je descends à Yverdon tous les lundis avec la vaisselle sale de la buvette du Plat de Riau pour en récupérer de la propre. On utilise depuis cette année de la vaisselle en porcelaine par souci d’écologie.
L’homme de 52 ans est toujours prêt à rendre service et il est actif durant six bons mois les années d’Art en plein air.
J’adore ça et j’avais déjà participé à la cuvée précédente (2015). Je n’ai pas hésité lorsqu’on m’a proposé de m’investir dans cette aventure. C’est vraiment une belle famille et ce ne sont pas des mots en l’air.
En parlant de famille, sa fille Mariette est engagée au côté de son papa puisqu’elle donne des coups de main réguliers à la caisse. Lui, connaît beaucoup de monde. De par son caractère avenant et son ancien métier de facteur qu’il a pratiqué durant seize ans. Peut-être le secret de sa forme physique impeccable, à moins que cela vienne du vélo qui est son moyen de déplacement habituel ? En tout cas, l’homme de l’ombre est une vraie source de lumière pour l’expo !
55 ans d’expérience pour « Bagat »
Changement de décor chez l’ARTisan du succès suivant : Franco Bagatella. Ce personnage de 73 ans partage désormais son atelier de mécanique avec Gaëtan Tinguely (26 ans), actif dans l’usinage de pièces. La relève est prête !
J’aimerais quand même un jour pouvoir arrêter de travailler mais on me demande toujours de faire de nouvelles bricoles alors je suis encore là,
se marre le doyen. Les deux hommes d’acier sont intervenus sur plusieurs œuvres d’Art en plein air.
Les artistes nous demandent toutes sortes de choses et on se débrouille pour les faire,
lancent-ils avec un faux air détaché. On sent qu’ils ont pris un vrai plaisir à mettre la main à la pâte. Entre le travail de soufflage sur le projet de corail de Claudia Comte, la mise en place de plaques métalliques sur « le rhinocéros » d’Olivier Estoppey et d’autres interventions encore, ils trouvent leur plaisir dans l’accomplissement d’un travail propre et efficace.
On le fait avec cœur et on essaie de coller au mieux à l’idée de l’artiste qui est parfois très évolutive. Cela rend le challenge encore plus intéressant.
Franco Bagatella a tout de même cinquante-cinq ans d’expérience derrière lui. C’est sans doute pour cette raison qu’il ne recule devant aucune demande.
Je me suis mis à mon compte dès 1975. J’ai d’abord travaillé dans le domaine des machines agricoles avant de retaper cette baraque à Boveresse où j’ai créé mon atelier il y a vingt ans.
Puisqu’on est dans le passé, sachez que Franco a construit un pont il y a trente ans par-dessus l’Areuse à Môtiers. Et ce même pont a été utilisé comme base pour leur création par les artistes Simon Paccaud et Morgane Erpen. Ils l’ont d’ailleurs intitulé « le pont à Bagat ».
Il a dessiné des formes sur des plaques en métal que l’on a ensuite découpées et servies comme barrières pour le pont. Puis il nous appelait régulièrement pour installer d’autres éléments comme un banc rétractable par exemple. Cela nous a occupés une bonne cinquantaine d’heures je pense.
Décidément pas en reste lorsqu’il faut participer à un projet hors normes, il a également pris part à la mise en place du drapeau suisse sur la falaise de Môtiers en 1989 sous l’impulsion de Fritz Müller. Le drapeau a été remplacé en 2020 et Franco Bagatella était évidemment dans le coup pour le réinstaller à ce moment-là.
Des milliers d’heures pour donner vie à la bête
Coïncidence, le tapissier Fritz Müller a également croisé la route d’Olivier Sidler, l’homme du bois. C’est lui qui lui a repris son atelier en 1993.
Je fais de la décoration d’intérieur, de la sculpture et j’ai aussi un espace de « jeu de peindre » (atelier de peinture libre). Et je donne des leçons de tango soit dit en passant.
En quelques mots, le résident de Môtiers a parfaitement révélé qui il est. Quelqu’un de consciencieux, de précis et qui aime prendre le temps de faire les choses bien. Sans toutefois être trop cadré dans ses activités.
J’ai rapidement été focalisé sur la déco et la sculpture. à 18 ans, j’ai choisi de faire un apprentissage plutôt que de suivre une école dans ce domaine. Et j’avais déjà cette envie de travailler le bois. Une envie que je n’ai pas pu assouvir immédiatement et c’est ressorti très énergiquement plus tard. C’est venu il y a quelques années.
C’est en autodidacte qu’il est donc arrivé à la sculpture sur bois. Et je profite de le rappeler, il n’est pas ébéniste !
De toute manière, on ne peut pas me définir avec un seul mot,
argue le Vallonnier de 58 ans.
Et comment est né son lien avec Art en plein air ?
C’est simple, c’est grâce à cette exposition que j’ai atterri ici en 1993. Avant, je travaillais à Neuchâtel et je ne faisais que passer au Vallon lorsque j’allais voir ma maman à Paris. Je ne m’y arrêtais pas. C’est pour voir ces œuvres que je m’y suis arrêté une fois et je ne suis plus reparti.
Celui qui adore sculpter en extérieur ne pouvait pas mieux tomber et c’est finalement presque logique qu’il ait fini par collaborer à une création. Martial Leiter lui a fourni un croquis, il s’est mis au boulot.
L’idée était de créer une mouche ou disons un insecte intégralement en bois et de grande taille (2.20 mètres de long sur 1.80 de large). Je suis parti d’un gros tronc que j’ai entamé à la tronçonneuse. Il faisait six mètres à ce moment encore.
Après deux mois et demi de travail et des milliers d’heures engagées – parfois jusqu’à quinze heures par jour –, le corps et les pattes ont été « brulés », brossés et teintés naturellement pour donner une couleur « noir carbonisé » à la bête. Le résultat final a même bluffé Olivier Sidler lui-même qui s’est « sublimé dans cette réalisation grâce au soutien bienveillant de Pierre-André Delachaux et de toute l’équipe. » Et la matière fut !
Kevin Vaucher