Un aigle royal décapité par une éolienne
Une rencontre qui fait grand bruit
Un aigle royal face à une éolienne, un grand bruit puis la chute de l’oiseau. Au sol, l’état de l’aigle, mort par décapitation, témoigne de la violence du choc. Cette histoire dans l’air du temps est racontée par un promeneur qui aurait tout vu de cette scène, située à 200 mètres de l’éolienne numéro 4 du Mont-Crosin. Cet habitant des Breuleux l’aurait vécue en novembre dernier et il a pris une photo du rapace sans tête pour matérialiser cette histoire inédite. Si des cas de ce type de « rencontres » ont déjà été rapportés ailleurs en Europe selon l’association suisse pour la protection des oiseaux BirdLife, ce serait le premier face-à-face mortel en Suisse.
Je marchais et tout à coup j’ai entendu un bruit sourd. J’ai levé la tête et j’ai vu un gros point noir tomber du ciel. Je me tenais à 200 mètres de cette éolienne et je voyais deux autres rapaces tourner. Arrivé sur place, j’ai estimé qu’une aile seule mesurait 80 à 90 centimètres (son envergure moyenne est de deux mètres). Je n’ai pas pu voir sa tête car elle était sous le corps et je n’ai pas osé toucher l’oiseau. J’ai été tout retourné quand j’ai vu ce pauvre aigle. J’avais mal au cœur, vraiment ! Encore aujourd’hui, le son du choc de l’oiseau avec le métal reste dans ma tête.
C’est ainsi que le promeneur raconte cet accident dont il serait le premier témoin en Suisse. Deux mois plus tard, soit début janvier, il a décidé de le partager avec l’association BirdLife qui s’en fait écho aujourd’hui. Pour elle, ce cas démontre par les faits que la multiplication des projets de parcs éoliens sur les crêtes du Jura fait peser une menace sérieuse sur les grands rapaces. Ceux-ci sont particulièrement vulnérables aux hélices et à d’autres éléments comme les lignes électriques.
L’aigle a été autopsié !
Alain Lugon est biologiste et possède une étude en écologie à Cernier. Il a été mandaté dans le cadre du projet éolien de la Montagne de Buttes. Il a pris connaissance de cette histoire avec attention.
Il semblerait bien qu’il s’agisse du mâle qui niche à Chasseral. L’oiseau a été autopsié et celle-ci révélerait effectivement qu’il est mort à la suite de cette collision avec la pale de l’éolienne.
Les nombreuses fractures et les différents points d’impact parleraient en ce sens.
La probabilité qu’un tel accident se produise et qu’un promeneur se trouve justement à cet endroit au bon moment est infime mais visiblement cela s’est produit. Ces éoliennes sont en place depuis une vingtaine d’années au Mont-Crosin et le couple de rapaces y est présent depuis en tout cas dix ans à quatre kilomètres du site. Et tout allait bien jusqu’à maintenant.
Cet accident fait naturellement bouger les lignes :
Ce risque autour de l’aigle royal était théorique et il devient pratique et réel aujourd’hui. Cette espèce est en train de recoloniser le Jura et les éoliennes ne la mettent indéniablement pas en péril puisque c’est le premier cas qui est relayé. Le mâle tué a d’ailleurs déjà été remplacé dans le couple du Chasseral. Il y a beaucoup de jeunes qui cherchent à s’implanter et cela prouve que l’espèce est dynamique. Il n’empêche, il faut se poser une question aujourd’hui. À savoir ce qu’il conviendrait de mettre en place dans les parcs éoliens prévus au Val-de-Travers et ailleurs dans les dix prochaines années.
Ce constat est partagé par BirdLife qui cible certains emplacements problématiques à éviter et milite pour la mise en place d’une planification rigoureuse des projets.
L’arrêt automatique des machines, la solution américaine ?
Alain Lugon travaille directement sur le projet de la Montagne de Buttes depuis 2011 et des mesures sont actuellement recherchées pour la préservation des grands rapaces.
Certaines périodes de l’année sont plus à risques que d’autres, par exemple lors de la fauche à proximité des éoliennes. C’est très attractif pour eux et on pourrait imaginer arrêter les machines le temps que cette attractivité s’estompe. Certaines techniques expérimentales permettent aussi de détecter la présence de grands oiseaux dans un périmètre donné grâce à des caméras. Ce qui permet de ralentir voire d’arrêter l’éolienne en quelques secondes. Ça existe déjà aux états-Unis où il y avait un vrai problème avec les aigles.
BirdLife avance d’ailleurs qu’il s’agit de la principale cause de mortalité de l’aigle dans ce pays. En Europe, l’association suisse pour la protection des oiseaux estime à une trentaine les cas de collisions rapportées avec des éoliennes.
Quid du projet de la Montagne de Buttes ?
Pour ce qui est du Val-de-Travers, l’association « Les Travers du Vent » affirme que la région est très sensible pour la faune ailée. Elle œuvre pour la sauvegarde des sites et hauts plateaux du Vallon et le cas de la Montagne de Buttes la fait tout particulièrement réagir. Un nid d’aigle royal se situerait à moins de deux kilomètres de l’endroit prévu pour les éoliennes. Pour rappel, le projet est en cours de traitement au Tribunal fédéral. Celui-ci pourrait d’ailleurs intégrer dans sa décision la mise en place de mesures pour lutter contre les dangers liés aux collisions. Alain Lugon ne réfute pas le risque potentiel qu’un parc éolien fait flotter sur les oiseaux. Il souligne cependant les efforts effectués pour limiter au maximum les autres risques présents dans la nature.
On essaie de réduire d’autres facteurs de mortalité qui impactent davantage l’aigle. On pense notamment aux lignes électriques pour lesquelles on intervient en isolant les pylônes pour éliminer le danger d’électrocution. À Saint-Sulpice, on a déjà mis sous terre un câble aérien qui traversait le Vallon et qui constituait un piège pour l’aigle et d’autres volatiles comme le hibou grand-duc. Ce ne sont pas des risques liés à l’énergie éolienne mais c’est quand même financé par ce secteur. Puisqu’on ajoute en quelque sorte un certain risque, on essaie d’agir sur d’autres problèmes plus meurtiers.
La possibilité d’équiper certains oiseaux de balises GPS pour étudier leurs déplacements avant de sélectionner une zone pour installer des éoliennes est aussi quelque chose qui pourrait être davantage développé. L’association « Les Travers du Vent » plaide pour sa part pour plus de mesures concrètes efficaces et moins de belles promesses. Bref, cette « rencontre » de l’aigle et de l’éolienne n’a pas fini de faire du bruit !
Kevin Vaucher