1er novembre 1923 – 1er novembre 2023
Un centenaire en quelques lignes
Dans quelques jours, Ernest Staeger aura 100 ans. Un cap qu’il passera dans son petit appartement fleurisan. En évoquant sa vie, le futur centenaire voit tantôt son visage s’illuminer et tantôt ses sourcils se froncer. Sur ce même visage, les lignes du temps se sont déposées comme autant de combats menés, de succès escomptés et de douleurs encaissées. Chacune d’elles raconte une histoire et elles se rejoignent en une seule pour former sa ligne de vie. Son histoire, il nous l’a racontée et c’est à moi qu’il revient maintenant de vous la confier en quelques lignes…
« Je vous présente mon épouse, ma fille et mon petit-fils. J’ai aussi trois arrière-petits-enfants. Et là, regardez, ce sont mes chiens. Ils sont décédés il y a quelques années. » Dès que la porte d’Ernest Staeger est franchie, on plonge immédiatement dans « la boîte à souvenirs ». Ses murs sont tapissés de photos de famille. « J’ai la chance d’avoir encore une mémoire infaillible alors je me souviens de tout », se réjouit-il en allant prendre place dans son canapé qui affiche lui aussi quelques années au compteur. « Vous allez me prendre pour un vieux qui ronchonne mais quand je pense au passé, je me dis que c’était quand même mieux en matière de sécurité, de liberté et d’insouciance. » Non Ernest, je ne vous prend pas pour un ronchon mais pour quelqu’un qui a su profiter de chaque instant de sa vie.
Deux vertèbres sur le carreau
Le décès de son épouse (2012) et celui de son fils (2010) l’ont définitivement convaincu qu’il fallait profiter de chaque seconde. « Ils ont tous les deux été emportés par une crise cardiaque. On a qu’à bien se tenir, hein papy », se hasarde à lui lancer sa fille Dominique. L’un et l’autre sont proches et ils veillent l’un sur l’autre en permanence. Même si les journées d’Ernest sont encadrées par les visites des infirmières, Dominique n’a pas assez de 24 heures pour s’inquiéter pour son papa. « Il est très autonome et il va encore faire ses courses par exemple, mais j’aime bien qu’il me prévienne à l’avance. » Dernièrement, une chute a valu deux vertèbres cassées à Ernest. « Je me suis retrouvé au sol comme une lavette », s’emporte-t-il en y repensant.
Toujours sur son vélo électrique
Pas refroidi pour un sou, Ernest continue à enfourcher de temps en temps son vélo électrique pour se déplacer. N’a-t-il pas peur de faire une nouvelle cabriole ? « Pensez-vous, c’est sur deux roues que je me sens le mieux », repousse-t-il. En revanche, il ne peut plus goûter aux joies des quatre roues depuis deux ans. « Cela m’a mis un gros coup au moral mais j’ai dû me résoudre à renvoyer mon permis voiture au Scan à l’âge de 98 ans. » Pas facile pour un mordu de liberté comme lui ! Parmi ses virées préférées, il aimait particulièrement se rendre dans son village d’enfance des Grisons à Maienfeld. « C’est le village d’Heidi, vous connaissez ? » De loin Ernest, de loin ! Et lui, pourquoi s’est-il rapproché du Val-de-Travers d’après vous ? Pour la beauté du paysage ? Pas vraiment !
Une maison très familiale
« à 19 ans, je venais apprendre le français et je suis finalement reparti avec ma future femme Yvonne. » Alors, le couple se marie puis part vivre en Valais où Ernest s’occupe d’un salon de coiffure. Mais l’appel du Vallon a fini par le rattraper : « Mon beau-frère m’a téléphoné pour me prévenir de la mise en vente d’une belle maison à la rue de l’Industrie de Fleurier. Quarante-huit heures plus tard, j’étais chez le notaire pour signer les papiers. » Le futur centenaire y a emménagé en 1951 et il y habite toujours. C’est désormais son petit-fils Joël qui en est le propriétaire. Lui occupe l’étage, pendant qu’Ernest « campe » dans l’appartement du rez-de-chaussée. Lorsque le couple arrive au Val-de-Travers, Ernest poursuit sa route professionnelle dans le salon de coiffure attenant à sa nouvelle maison.
Nouveau record de longévité
Mais bientôt, un problème de santé l’empêche de se tenir debout durant des heures et il opte pour un changement de carrière. « J’ai rencontré le directeur de l’usine Piaget de La Côte-aux-Fées et je me souviens encore parfaitement de l’entretien. Première question : fumez-vous ? Non ! Deuxième question : buvez-vous de l’alcool ? Non ! Vous êtes engagé, bienvenue chez Piaget ! » Ernest y restera finalement 32 ans. Du passé, il se souvient aussi de la période de la Deuxième Guerre mondiale lors de laquelle il est mobilisé pour défendre la frontière suisse. « Même si j’étais beaucoup plus porté sur la pêche et la cueillette des champignons que le sport, je suis content d’avoir rempli mon devoir de citoyen. » Si ce n’est pas le sport, vous vous demandez sans doute encore quel est le secret de longévité du futur centenaire ? « La réponse se trouve sans doute dans le gène maternel car ma maman a vécu jusqu’à 99 ans », finit-il par révéler. Encore quelques jours et Ernest Staeger battra le record familial le 1er novembre prochain, ajoutant une centième ligne de vie bien méritée sur son visage.
Kevin Vaucher