Une foire entre chaleur et frilosité
À première vue, la foire de Couvet avait tout d’un retour temporaire à la quasi-normalité. Des stands espacés mais nombreux, des gens masqués mais heureux et même le retour inespéré du soleil pour accompagner cette journée de vendredi. En y regardant d’un peu plus près cependant, les commerçants s’accordent à dire qu’il y a eu moins de monde qu’à l’accoutumée. Ce qui n’a pas été sans conséquences pour les affaires.
Le thermomètre qui flirte avec les 20 degrés et les gens qui déambulent au milieu des stands dans une liberté presque totalement retrouvée. Des choses simples finalement mais devenues si rares ces derniers temps qu’elles en deviennent marquantes. On en devinerait quasiment le sourire des gens derrière leurs masques devenus, eux, habituels. L’occasion était trop belle, j’ai donc décidé d’aller prendre le pouls au cœur de cette foire de Couvet en m’attardant chez quelques commerçants. Frontalement touchés par les restrictions liées au coronavirus, ils étaient tous très heureux de retrouver le contact avec les clients même si cela n’a pas débouché sur des ventes records, loin de là.
Anita, Brigitte et Cathy, au naturel !
Près du temple, j’aperçois trois femmes dynamiques derrière un stand bien achalandé. Un premier arrêt s’impose.
Ici, vous êtes chez Anita et Brigitte. On vend des produits maison sans additif à base d’ail et d’oignon. Tout est naturel, comme nous.
Chaque année, elles pèlent 300 kilos d’ail au couteau pour confectionner leur assortiment.
Il y a aussi Cathy avec nous qui propose différentes choses autour du cèpe, notamment du sel et du bouillon de légumes.
La jeune fille est bien entourée par les deux « doyennes » chaux-de-fonnières qui officient depuis 40 ans dans les foires.
De quoi connaître quelques clés de vente à chaque endroit :
À Couvet, les affaires se font plutôt l’après-midi. Le matin, c’est surtout des personnes âgées qui « schneuquent » (qui regardent, quoi). Et les meilleures ventes se font quand on remballe le stand, en général,
rigolent-elles. Après cette halte instructive et sympathique, mon regard est attiré par un homme qui parle fort derrière son étal de pop-corn, barbe à papa et autres bonbonneries. Bretelles edelweiss sur les épaules, sa voix est marquée d’un accent suisse allemand prononcé. Le bruit de ses machines à sucreries est insistant, ce qui rend le rythme de la discussion frénétique.
Bretelles edelweiss et bricelets au café
Normalement, Couvet est toujours un excellent lieu de foire et c’est pour ça que je viens depuis les environs de Bâle pour y participer. Ça fait 45 ans que je viens et j’ai quand même hésité à venir cette fois-ci car j’ai eu un manque à gagner de 110’000 francs l’année passée.
Pas le temps d’entrer plus dans les détails que l’homme est appelé par sa petite femme énergique.
C’est la cheffe qui me tape sur les doigts, je dois y aller,
balance-t-il dans un rire à vous en faire décoller les tympans. à peine reparti qu’un passant m’arrête pour me faire un petit compte-rendu rapide de la situation à ses yeux :
C’est au printemps que ce type d’événement marche le mieux normalement mais là je dirais que l’affluence n’est qu’à 70 % de ce qu’elle est habituellement .
En le remerciant pour ce rapport imprévu. Son point de vue me sera confirmé par les commerçants eux-mêmes un peu plus tard dans la journée. Entre ceux qui ont engagé du personnel et qui n’en auraient pas eu besoin et ceux qui ont vu leurs ventes divisées par deux ou trois (voire quatre) par rapport à une année « normale », ils tirent un bilan mitigé de ce côté-là. Mais reprenons notre virée dans les rues de Couvet. Près de la distillerie d’absinthe, l’atmosphère est plus feutrée sous la tente des « Bricelets Gourmands ». Nelly fait chauffer l’appareil à gaufres et ses préparations exaltent l’odorat des passants à proximité. Voilà une astuce de vente plutôt maligne lui fais-je gentiment remarquer.
Il faut bien que je me fasse connaître des clients puisque c’est ma première foire ici,
plaisante-t-elle.
Plus sérieusement, j’ai pris l’appareil avec moi car je ne sais pas exactement la quantité que je vais vendre comme je suis habituellement installée au Val-de-Ruz.
Ses spécialités ? Des bricelets sucrés et salés à différentes saveurs telles que café, spéculoos ou cannelle orange.
Boucherie Bohren, point de ralliement depuis 1958
Ses bricelets coupés fins dans des boîtes de dégustation avaient l’avantage de pouvoir être consommés aisément et rapidement. Pas du luxe quand on sait que les gens étaient priés de se restaurer à l’extérieur du périmètre de la manifestation. En parlant de restauration, nous voilà justement au côté d’une des figures incontournables pour terminer cette immersion : Rémy Bohren, de la boucherie du même nom. Derrière son gril, on sent que le coup de pince est assuré et que l’afflux grandissant des amateurs de saucisses de veau et schübligs ne l’effraie nullement. Et pour cause :
Je suis le plus vieux commerçant de la foire. Mon père était là dès 1958 et moi j’ai repris le 1er février 1999. Il m’a dit que seulement deux éditions avaient dû être annulées à cause de la neige avant celle de l’année passée. Une fois, il y a eu 60 centimètres de blanche le matin de la foire.
Pas de neige cette fois-ci mais des conditions particulières quand même.
Je n’ai pas pu mettre de table pour que les clients puissent manger assis, donc la cadence au gril est vraiment relax, croyez-moi. Je suis plus présent pour respecter la tradition que pour faire du chiffre d’affaires.
C’est d’ailleurs en effectif réduit et avec sa jeune fille Emma au service qu’il a décidé de procéder cette année.
Généralement, c’est un point de ralliement apprécié devant la boucherie et je fais appel à plus de personnel. Je mets les tables et les gens viennent au café et ensuite pour manger. Puis certains font un tour de foire et d’autres un tour… de table.
Les cantonniers quant à eux, n’oublient jamais de faire un tour à la boucherie en fin d’après-midi pour savourer une saucisse que Rémy leur a soigneusement réservée. En tout cas moi, j’y referais bien un tour !
Kevin Vaucher