Aurore Lecerf vole au secours des faons
Le mois de mai a parfois été exceptionnellement estival cette année. De quoi pousser certains agriculteurs à sortir la faucheuse hors de la grange. Si une bonne partie de la population y voit le signe positif d’un été qui se rapproche, Aurore Lecerf y perçoit un danger imminent pour les jeunes faons tapis dans les hautes herbes. C’est pourquoi elle a lancé SOS Faons Neuchâtel il y a quatre ans. Munie de trois drones dotés de caméras thermiques, l’équipe de 25 bénévoles propose ce service de sauvetage gratuitement à tous les agriculteurs qui font appel à elle dans le canton. Chaque année, 60 à 80 jeunes faons sont ainsi sauvés de la « grande faucheuse » grâce à ces « protecteurs volants ».
Savez-vous pourquoi les chevrettes ont l’habitude de mettre bas dans les champs ? Pour protéger leur petit des prédateurs. Mais encore ? Car les faons n’ont aucune odeur dans les trois premières semaines de leur vie et qu’ils sont théoriquement à l’abri des prédateurs. Lorsqu’un danger intervient, leur seul mécanisme de défense est de rester instinctivement immobiles. Face à une faucheuse lancée à pleine vitesse, ils sont donc régulièrement décimés dans les hautes herbes à chaque printemps. L’animal a beau mettre en place des stratégies pour passer entre les gouttes, le rapport de force est trop inégalitaire pour qu’il y parvienne.
Habituellement, la maman a deux petits en même temps et elle les place à deux endroits différents du champ pour en préserver au moins un si un prédateur tombe sur l’autre. Puis elle s’éloigne de ses petits pour ne pas attirer les prédateurs jusqu’à eux,
brosse Aurore Lecerf de SOS Faons Neuchâtel et de SOS Chats Noiraigue (apparentées).
À la chasse des « points blancs »
Ces champs d’herbe sont généralement récoltés de mai à début juillet, ce qui condense les interventions sur deux mois.
Quand une bonne fenêtre météo arrive pour la fauche, notre téléphone (078 760 94 68) a tendance à chauffer un peu. Mais on fait toujours en sorte de pouvoir répondre à chaque demande rapidement.
Dans l’idéal, le propriétaire est en mesure de fournir le numéro cadastral de la parcelle concernée ou ses coordonnées GPS. Une capture d’écran avec le contour du champ dessiné est aussi une information bienvenue pour que l’équipe puisse planifier son intervention. Cela donne la possibilité de quadriller le champ en amont et de laisser le drone le survoler en mode « pilotage automatique ».
Cette configuration permet au pilote du drone, et à son accompagnateur, de se concentrer uniquement sur les images de la caméra thermique que l’on peut regarder simultanément sur une tablette. Si un point blanc apparait, c’est qu’il y a un point chaud et donc possiblement la présence d’un bébé faon dans les hautes herbes.
Drone boxé par des chevrettes
Le facteur limitant de cette méthode est qu’il faut agir dans des températures plutôt fraîches pour distinguer les points chauds par rapport au reste. Or, la période des fauches coïncide avec le retour des beaux jours et de chaleur plus marquée, comme cette année.
On est obligé de procéder à nos contrôles et à nos sauvetages tôt le matin, entre 4 h et 7 h 30 environ. Et en plus, certaines mères confondent parfois notre drone avec un rapace et elles sortent de leur cachette pour défendre leurs petits. Si on s’approche de trop près avec l’appareil, elles essaient de le boxer. Ça peut être un peu ʼ sport ʼ.
L’opération de contrôle se passe très rapidement. En volant à 50 mètres de haut, il faut seulement deux minutes pour passer à la loupe un hectare.
Si un point de chaleur est affiché à l’écran, l’accompagnateur est guidé sur les lieux pour vérifier qu’il s’agisse bien d’un faon. Ça peut être un chat un blaireau ou même une fourmilière.
Si c’est bien un faon, on place une cagette en bois par-dessus l’animal pour le protéger de la fauche et on plante un repère. Comme ça, le paysan sait où il ne doit pas passer et il peut libérer le jeune faon lorsqu’il a terminé son champ. » Certains partent alors en courant retrouver leur mère alors que d’autres attendent qu’elle vienne les chercher pour changer de « cachette ».
9000 francs pour un drone
Les activités de SOS Faons Neuchâtel sont financées par des dons. L’achat des trois drones a d’ailleurs été rendu possible grâce à une action de récolte de fonds (crowdfunding) ayant rapporté 20’000 francs. Un drone équipé de caméra thermique avec une tablette de contrôle revient à 9000 francs pièce.
C’est un matériel indispensable pour effectuer une centaine de survols de parcelles par année. Et ça nous permet de sauver 60 à 80 faons chaque saison. La vitesse idéale du drone est de 17km/h mais on peut accélérer ou ralentir grâce à la radio commande (le joystick de commande). On peut aussi se rapprocher du sol si on a un doute sur la présence ou non d’un faon. La caméra conventionnelle (non thermique) offre souvent une vision plus claire de ce qui se trouve en dessous de l’appareil.
Aurore Lecerf a bénéficié d’une journée de formation auprès d’un pilote de drone professionnel pour apprendre à le gérer avec assurance et sécurité. Cette diplômée en économie d’entreprise est aussi comportementaliste pour chats, en plus de son engagement pour le sauvetage des faons. Et quelque chose me dit qu’elle n’a pas fini de déployer totalement ses ailes pour le bien des animaux.
Kevin Vaucher