En la voyant, elle semblait aboutie, belle et parfaite. Un fond noir aux reflets hétérogènes marque avec force l’œuvre, puis ses volutes de fumée ou ses effluves vaporeux d’alambic qui montent dans diverses tonalités de vert se révèlent enivrants, presque mystiques. Avant la présentation officielle du tableau du graffeur Benjamin Locatelli, choisi par la Commune de Val-de-Travers pour imaginer l’étiquette de sa cuvée communale 2022, les quelques invités conviés jeudi dernier à la Maison de l’absinthe (MABS) estimaient déjà entière cette étonnante et fascinante composition. Néanmoins, il bruissait que quelque chose d’inattendu allait se dérouler.

La demande du Conseil communal avait étonné le graffeur installé aux Verrières. Concevoir une affiche format A3 et un modèle d’étiquette n’étant pas vraiment son domaine, lui qui apprécie travailler sur de plus grandes surfaces.

Néanmoins, il a relevé le défi, en partant d’une œuvre plus imposante. Dans ce grand tableau noir et vert, l’artiste a disséminé divers mots, dates et formules faisant allusion à l’absinthe et à son histoire. Une histoire mouvante entre illégalité et légalité qui a fait sourire Benjamin Locatelli, la pratique de son art étant passée de illicite à licite. Une réalisation, prenant un « gros après-midi », qu’il faillait soumettre à l’approbation du Conseil communal.

Cela m’embêtait un peu de faire valider mon travail par quelqu’un,

a plaisanté Benjamin Locatelli, en revendiquant la liberté et l’éphémère du graffiti.

Le coup de la bombe

Dans l’art de rue, il est normal de recouvrir une œuvre par une autre. Alors, l’artiste des Verrières a soudain saisi une bombe de peinture et ajouté sa touche finale au tableau modèle de l’étiquette de la cuvée communale. Devant la petite assemblée d’invités un peu ébahis, l’artiste est redevenu graffeur, et a inscrit ce slogan, presque impertinent, en rouge « Illégale Absinthe is better ». Un acte, qui après la surprise, a fait plutôt rire et sourire. Seul le conseiller communal, Eric Sivignon, avait pressenti ce « dernier coup de patte », lui qui avait précédemment vu les affiches A3 déjà taguées de cette marque rouge. L’art du graff n’est décidément pas comme un autre.

La cuvée de l’absinthe communale de Val-de-Travers a été étiquetée à environ 300 bouteilles. La grande œuvre, elle, restera probablement un moment à la MABS, selon le souhait de son directeur Yann Klauser, pour en faire profiter les « 12’000 visiteurs annuels », avant de revenir dans les locaux communaux. Reste la question du fait que personne ne pourra avoir une bouteille d’absinthe communale 2022 avec cette dernière touche écarlate ajoutée subitement. L’artiste répond qu’il est disposé à accueillir tout un chacun dans son atelier des Verrières et à ajouter cette marque rouge ardente sur l’étiquette pour créer un exemplaire unique. Un graffeur n’est décidément pas un artiste comme un autre.

Gabriel Risold